L'enfer vert.
Dédié au cinéaste Henri-Georges Clouzot, "Sorcerer" est en effet un remake de son film "Le salaire de la peur", ou plutôt une seconde adaptation du roman de Georges Arnaud. Souhaitant au départ...
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Au fin fond de la jungle se déroule une aventure hors du commun. Soumis aux lois de la nature, Le Convoi de la peur avance. Sorcerer, de son nom en version originale, propose une nouvelle adaptation du roman de Georges Arnaud, après celle, déjà très célèbre, réalisée par Henri-Georges Clouzot, Le Salaire de la peur. Friedkin vient marcher sur les pas du maître, mais il est hors de question de parler de remake.
Friedkin exploite le même matériau de base que Clouzot, suivant forcément une trame similaire, mais il se désolidarise rapidement de l’oeuvre de son maître et prédécesseur. Là où les protagonistes du Salaire de la peur se rencontraient dès le début du film dans un village perdu dans le désert, Friedkin offre à ses héros une introduction. Chacun nous est présenté, faisant démarrer le film à partir de quatre sortes de prologues qui, a priori, n’ont pas grand chose à voir entre eux. Cependant, le destin que chacun rencontre vise principalement à justifier la présence de chaque personnage au milieu de la jungle. De même, quand Clouzot faisait évoluer son intrigue dans des paysages désertiques et désolés, Friedkin opte pour la jungle luxuriante et humide. Un grand point commun, cependant : un irrépressible sentiment d’étouffement.
A la source d’un profit aux perspectives incommensurable se trouve une fourmilière d’hommes et de femmes désœuvrés tentant de survivre dans un milieu hostile. La sueur dégouline sur les visages et les vêtements. Il n’y a plus de banquier, de terroriste, d’escroc, juste des hommes acculés qui se sont retrouvés dans un enfer vert dont ils sont désormais prisonniers. Leur seule échappatoire réside dans une véritable mission suicide, promesse d’une récompense conséquente, et possibilité de s’échapper de ce trou. Quatre hommes doivent faire équipe pour mener à bien la mission, mais à force d’avoir vécu comme des chiens errants, ils ont développé un instinct de préservation qui les mène surtout à penser à eux-même d’abord. Dans ce Convoi de la peur, l’enfer est vert et humide, traçant ses chemins dans une jungle luxuriante et écrasante, faisant s’enfoncer les aventuriers opportunistes toujours plus profondément dans la terreur et la folie.
Friedkin n’a rien à envier à Clouzot dans sa gestion du suspense, qu’il parvient à créer avec intelligence et réussite. Et même si le spectateur qui a déjà vu Le Salaire de la peur auparavant anticipera forcément certains dénouements et points d’intérêts, il ne demeurera pas en reste. Car, comment oublier, pour ne citer qu’elle, l’incroyable scène du passage du pont en camion ? Extraordinaire par son ampleur et la tension qu’elle dégage, elle symbolise à elle seule la folle ambition dont a fait preuve William Friedkin avec ce Convoi de la peur, et le fragile équilibre qu’il a fallu maintenir pour que ce film puisse trouver le chemin des salles. Plus l’intrigue avance, plus elle pousse les personnages dans leurs retranchements, à l’image d’une autre scène remarquable, où Scanlon se met à divaguer dans un paysage baignant dans un bleu nocturne, son visage apparaissant en surimpression sur l’écran, comme dans un lointain film expressionniste. Après avoir toujours flirté avec la folie et l’intangible, le film opère une bascule claire et définitive vers l’onirisme, déjà bien présent tout au long du métrage, et prend définitivement le pas pour souligner le caractère profondément irrationnel de la nature humaine.
Retour à l’état sauvage, aventure périlleuse et suicidaire dans un enfer vert, film-monstre à la production chaotique, Le Convoi de la peur marque les esprits. Dépourvu des stars initialement prévues à l’affiche (Steve McQueen, Marcello Mastroianni, Lino Ventura), véritable échec financier à sa sortie, la faute, très certainement, à la sortie du premier Star Wars une semaine auparavant, le film de William Friedkin a su, comme un certain nombre d’œuvres que l’on pourrait qualifier de « maudites », s’imposer comme un vrai incontournable. Un statut mérité, tant ce voyage haletant aux confins du monde et de l’humanité vaut le détour.
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Créée
le 26 avr. 2020
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