Séance sans grandes attentes, mais poussée par la curiosité de voir ce que l'on pourrait faire de ce classique aujourd'hui. Je ne connaissais de l'oeuvre que quelques épisodes avec David Suchet, ainsi que la fort agréable adaptation de Sidney Lumet en 1974 (d'ailleurs découverte tardivement l'année dernière), ce qui jouera sans aucun doute en défaveur de ce remake.


D'un point de vue purement technique, c'est une assez franche réussite. De nombreux plans grandioses viennent flatter la pupille, comme celui d'ouverture ou la traversée des montagnes. On distingue certes le travail de post-production, mais ce n'est en aucun cas dérangeant. La reconstitution de l'Orient-Express est magnifique, truffée de détails et (pour mon oeil inexpérimenté) totalement crédible dans son époque ; on prend un réel plaisir à se laisser entrainer par la caméra dans ces espaces aussi fastes qu'exigus. Cette caméra nous offrira par ailleurs de très belles (contre-)plongées en extérieur, dimension quasi-absente de la version de Lumet, mais assez bienvenue ici même si elle enlève un peu à l'ambiance de huis clos. Seul bémol à mon sens, la lumière bien trop artificielle par moment ; je pense tout particulièrement à la discussion entre Hercule Poirot et Miss Debenham, où leurs visages sont jaunis à souhait par les spots, alors même que l'environnement tout entier est nappé d'un blanc pur.


Kenneth Branagh nous montre ici un Hercule Poirot revisité, et c'est là le point fort du long-métrage. Très éloigné de l'interpretation de Albert Finney, on découvre un homme bien plus habité par la vie que son homonyme, à l'accent aussi caricatural que drôle. Le détective n'en garde pas moins ses attributs habituels, à savoir une (très) belle moustache, une certaine vanité, une morale bien arrêtée et une obsession assumée pour « l'équilibre ». Si le belge et sa personnalité sont fort bien introduits en début de pellicule, on regrettera tout de même qu'une bonne partie tout ceci s'efface au fur et à mesure des deux heures qui suivent.


Deux heures qui peinent d'ailleurs à maintenir cet équilibre cher à notre détective. L'intrigue, particulièrement complexe dans ce Crime de l'Orient-Express, demande à être développée avec soin ; pour ne pas frustrer le spectateur, il faudra obligatoirement répondre aux trois questions les plus importantes : Qui ? Pourquoi ? Comment ? Malheureusement pour nous aucune des trois réponses ne sera traitée convenablement.


La suite de cette critique comporte des spoilers.


Il est évidemment compliqué de présenter correctement une douzaine de personnages, le « Qui ? » s'étale donc sur la majeure partie du film de manière très inégale. Johnny Depp évidemment, mais aussi Daisy Ridley, Michelle Pfeiffer et Leslie Odom auront un traitement de faveur et la possibilité de développer un peu leur jeu d'acteur. Mais face à eux s'effacent Derek Jacobi, Penélope Cruz, et à mon grand malheur Judi Dench (pourtant très prometteuse dès ses premières secondes à l'écran). Je n'ose même pas évoquer le couple Andrenyi, aussi anecdotique que surjoué, qui ne fait ici qu'acte de présence. Si la mise en avant de ce nouvel Hercule Poirot est fort sympathique au point qu'on en redemande, elle prend malheureusement l'ascendant sur le reste des protagonistes, qui restent (quoi que l'on fasse) au coeur même de l'histoire. En un sens, sa vanité transparaît dans la forme même du long-métrage.


Ironiquement, cette vanité est aussi responsable de la mise à mal du « Pourquoi ? ». Là où l'adaptation de 1974 s'ouvrait sur un article de journal et une suite d'archives relatant l'histoire de la petite Armstrong (donnant ainsi quelques sombres clés pour la suite de l'intrigue), celle de 2017 choisit un plan large sur Jérusalem, nous menant tout droit à une affaire qui fera briller le moustachu. Le résultat de ce choix se fera attendre, mais sera inévitable : la première évocation de l'histoire Armstrong (post-meurtre) amènera l'auditoire à l'appréhender dans la difficulté, tout ceci ne venant que s'ajouter aux mille questions déjà en suspend. Pour rester tout à fait honnête, le motif du meurtre était déjà pour moi le point le plus litigieux dans le film de Lumet, mais est imputable à l'oeuvre d'origine. Quand un élément aussi lointain apparaît dans un huis clos, ne reste alors plus qu'à trouver celles et ceux qui y sont liés, ce qui enlève une partie du plaisir au genre du policier. Je serais curieux de savoir comment tout ceci est ressenti lors d'une première lecture, ce qui est désormais tristement impossible pour moi...


Ne subsiste enfin que le « Comment ? », que tout un chacun attend avec la plus grande impatience devant une oeuvre d'Agatha Christie ! Et là aussi, le public restera sur sa faim ; le dénouement de l'intrigue est totalement bâclé, poussé par le temps qui passe. Tout s'accélère, Hercule Poirot fait travailler ses petites cellules grises, puis vient la révélation, la solution est là ! S'ensuit alors un déballage assez précipité des motifs de chacun, et un unique flashback sur l'instant du meurtre. Tous les petits indices semés ici et là seront oubliés, passés sous silence, tout au mieux évoqués du bout des lèvres pour les plus chanceux. On attendait tous un final en apothéose, et c'est une apoptose qu'on nous propose, au final...

zessx
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le 13 déc. 2017

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