Petite précision qui a son importance. La projection du « Crime de l’Orient-express », adaptation éponyme de l’un des nombreux romans policiers d’Agatha Christie, n’a certainement pas le même charme lorsqu’on en connait le dénouement. Encore plus dans ce genre de policier où tout repose sur l’identité du coupable. Ce roman est d’ailleurs certainement le plus connu de ceux de l’écrivaine et peut-être même l’un des whodunit les plus célèbres au monde. La plupart de ceux voyant le film ne prendront donc certainement pas le même plaisir que ceux qui en découvrent l’intrigue et la fin pour la première fois. Celle-ci fait en effet beaucoup dans le sel du livre par son originalité et son côté totalement inattendu. L’impression générale laissée par cette nouvelle version de Kenneth Branagh sera donc plus généreuse pour les néophytes tandis que les autres se délecteront d’un simple exercice de style haut de gamme au casting de luxe.
On reconnait à l’acteur réalisateur plusieurs qualités non négligeables dans cette nouvelle mouture du roman. D’abord il fait le maximum pour en extraire le côté théâtral, mettant là une introduction à Jérusalem du plus bel effet ou ici des scènes d’interrogatoire à l’extérieur du train quand celui-ci est arrêté. Pareillement, certains de ces plans, pour se soustraire à l’espace exigu du train, sont particulièrement recherchés et l’aspect très léché de l’ensemble sied à ravir à ce policier années 30 aux relents très chics. Quant à l’incarnation qu’il fait du détective belge Hercule Poirot, si elle peut paraître parfois maniérée, n’est en pas moins tout à fait convaincante et drôlissime. Le comédien s’est approprié le rôle avec appétit et passion et cela se ressent à chaque mot et chaque mimique. Mais ce que l’on préfère c’est cet admirable dénouement (certes il n’y est pour rien c’est déjà dans le livre), le discours sur le Bien et le Mal qui va avec et la manière dont il est mis en images façon repas de la Cène.
En revanche, et c’est la base intrinsèque de ce type d’adaptation, c’est très bavard. Et parfois il faut s’accrocher pour suivre les méandres de l’intrigue dans la ribambelle de patronymes, de personnages et d’événements reliés les uns aux autres dans une intrigue qui colle certainement mieux à une lecture tranquille. On décroche donc parfois dans ce ballet de répliques, parfois bien mises en bouche mais qui frôlent souvent la saturation. Et si les acteurs choisis pour incarner la bande de suspects forment un beau casting cinq étoiles, l’un des plus beaux de l’année, ils viennent tous plus ou moins cachetonner le temps de quelques dialogues et scènes sertis dans un ensemble tout entier voué à Hercule Poirot. Leurs personnages ne sont pas creusés et quasiment tous unidimensionnels. On retiendra surtout la belle prestation de Michelle Pfeiffer qui fait un retour fracassant cette année après « Mother ». « Le crime de l’Orient-Express » est donc une relecture assez plaisante et enroulée dans un emballage de haute tenue mais qui ne restera pas dans les annales. Un petit plaisir immédiat qui sera plus important pour ceux n’en connaissant pas la fin.