Hercule Poirot doit rentrer de toute urgence à Londres et prend l’Orient Express. Manque de pot pour lui : son voisin de compartiment est assassiné et le train est bloqué après une avalanche. Le voilà coincé avec l’assassin qu’il doit trouver au plus vite.


Soyons honnête, Kenneth Branagh est un excellent acteur et réalisateur. D’ailleurs, la réalisation de ce film est EX-CEL-LEN-TE : il arrive à bien faire bouger sa caméra, nous faisant sentir les étroites parois d’un train, tout en jouant clairement avec chaque partie du train. Clairement, jouer avec, dans et sur un train était son intention première quand il a commencé à faire ce film ; le petit hic est que, du coup, il y a parfois quelques incohérences de mouvement. Par exemple, je ne pense pas que ce soit judicieux d’organiser une réunion sur le toit du train (surtout pour faire le point sur aussi peu de choses) alors que le train vient de se manger une avalanche dans la tronche. Le sol me paraît trop gelé et enneigé pour tenter ce genre d’acrobaties sans glisser.
Les acteurs sont aussi excellents. Rien à reprocher. En plus, ils ont su assimiler les bons personnages entre eux pour ne pas égarer le spectateur, c’est fort sympathique. Oui, parce que c’est un problème avec Christie : elle fait toujours beaucoup de suspects, tous très réussis et à la personnalité différente mais certains se ressemblent tellement que ça peut éparpiller un peu le lecteur. Du coup, devinez qui doit, pour adapter l’un de ses livres, remanier les personnages à chaque fois…
Tout le reste est aussi d’excellente qualité, comme on pourrait l’espérer d’un film de cette trempe (bon, les effets spéciaux ne sont peut-être pas si terribles que ça, la faute à un budget qui a dû passer entièrement dans le casting).
C’est le scénario (donc le nerf du film) qui ne va pas. Pour comprendre mon malaise, un critique de ce site a su très bien l’exprimer : est-ce qu’il y a une seule personne de l’équipe artistique qui a lu et compris le livre ? Parce que c’est à craindre que non !
Ça pose un gros problème à l’écriture de ce film : les producteurs et le réalisateur ont certainement voulu faire ce film avec l’idée qu’ils pourraient en faire un bon film d’action. Or, si vous avez un jour lu un Agatha Christie, s’il y a bien une chose qu’on ne peut qualifier son œuvre, c’est d’être « d’action ». Oh, il se passe des choses, hein ! mais rien qui va impliquer des bagarres, des courses-poursuites ou autres sensations fortes. De plus, Hercule Poirot n’est pas un homme qui courre et castagne des méchants. Déjà, il n’en a pas le physique, encore moins la volonté, et en plus, c’est généralement un élément qu’il va laisser à son comparse de roman (s’ils en ont besoin !).
Ça pose d’autant plus problème que les scènes d’action qu’ils ont rajoutées font forcées et n’apportent généralement pas grand-chose à la trame principale. Pire ! elles sont parfois incohérentes ! Par exemple, dans le livre, il y a toute une intrigue autour d’une mystérieuse femme en peignoir rouge avec un dragon dessus aperçue dans les couloirs du train à l’heure de l’assassinat. Elle a été aperçue par différentes personnes et le hic est qu’on ne comprend pas comment elle a pu disparaître ou si elle existe bel et bien (tous les témoins n’ont aucune raison de confirmer le témoignage des autres). La solution est expliquée à la fin du livre : les assassins, au moment de commettre leur forfait, se sont rendus compte qu’à cause de la neige, le train s’était arrêté donc que leur plan pour faire croire que le meurtrier avait réussi à s’échapper à la prochaine gare tombait à l’eau. Pas grave, se dirent-ils, sauf que le voisin de l’assassiné n’est autre qu’Hercule Poirot ! Se doutant qu’on allait lui confier l’affaire jusqu’à l’arrivée de la police, ils modifièrent donc leur plan et ajoutèrent le détail de cette femme mystérieuse pour détourner les soupçons… sauf que dans le film, la présence de cette femme est attestée avant l’arrêt forcé du train ! Et il ne pourrait en être autrement parce qu’après, le train est sens dessous dessus à cause de cette fichue avalanche qui l’a frappé de plein fouet et qui a réveillé tout le monde ! Bonne chance pour modifier ton super plan de meurtre ! Bon et bien sûr, inutile de préciser que la fichue avalanche qui est responsable des trois quarts des incohérences du film, n’apparaît pas dans le livre, tout simplement parce que Christie s’est un peu mieux renseignée sur le trajet de l’Orient Express que l’équipe artistique de ce film et savait que le terrain était plat entre Vinkovci et Brod ! Paye ta scène d’action incohérente !
Mais bon, dans l’ensemble, toute la résolution est invraisemblable à cause du traitement de l’enquête. En effet, à force de modifier tel élément du livre au début ou au milieu sans prendre le temps de modifier sa fin par conséquent, on arrive à une œuvre bâtarde ou, si on n’a pas lu le livre, on ne comprend pas tel ou tel élément. On ne comprend pas par exemple, pourquoi la bonne française fut accusée de l’enlèvement de la fillette Armstrong alors que la nourrice avait vu le kidnappeur (en fait, la bonne fut accusée de complicité et personne ne fut un témoin direct de l’enlèvement), on ne comprend pas comment Poirot peut se demander pendant aussi longtemps qui a bien pu tuer la victime alors qu’il y a autant de monde lié à cette dernière dans le même train (en fait, on découvre seulement deux personnes liées à l’affaire Armstrong et après Poirot fait le pari qu’ils ont tous un lien et, de ce pari, devine juste pour tous). Pire que ça ! on ne comprend à la fin ni comment a eu lieu le meurtre, ni comment il a été organisé, encore moins ce qui s’est passé dans l’affaire Armstrong (bah, tiens, l’histoire de la bonne française, on ne l’a découvre qu’au dernier moment de sorte que l’application de certains personnages fait forcé) !
Bon, il y a aussi de jolis thèmes modernes comme l’excentrisme et le perfectionnisme de Poirot que Branagh a voulu ajouter (sauf qu’il n’est pas allé au bout de ses idées et c’est parfois du grand n’importe quoi), ou le racisme (encore que, l’argument du rosé me reste en travers de la gorge) dans les années 30. Ils ont aussi changé la nationalité de certains personnages… pour le meilleur (Penelope Cruz) mais aussi pour le pire (le gars qui joue Bouc… il est anglais. Alors que Bouc est belge. Comme son nom peut l’indiquer. Bouc.)
Mais, dans l’ensemble, ce n’est pas une bonne adaptation parce que ce n’est pas un bon film mais parce que personne ne prend le temps de s’arrêter deux secondes pour énumérer des faits clairs et nets, de sorte qu’on puisse mener une enquête simple mais efficace du début à la fin.
Et soyons honnête, le Crime de l’Orient Express n’est pas compliqué : il y a un gars qui a été assassiné et l’assassin se trouve encore dans le train. C’est la suite de l’enquête qui se complique parce que les indices et les témoignages vont dans tous les sens. Donc si on n’est pas capable de présenter clairement le meurtre, bonne chance pour faire comprendre tout le reste !
Et ils n’ont pas été capables de présenter clairement le meurtre. Alors, le reste…


PS : c’est sympa de prévoir des suites, ça l’est encore plus quand vous ne contredisez pas 1) le début de votre film, 2) le pitch de base du suivant (à savoir que, comme celui-là, Poirot s’y retrouve mêlé par le plus grand des hasards).

Créée

le 8 nov. 2020

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