Cette critique contient des spoilers


Dur dur de nos jours de s'attaquer au mythique personnage d'Agatha Christie: Hercule Poirot, pour toujours associé (et ce pour une bonne partie d'entre nous) aux traits de David Suchet. Mais Kenneth Branagh ne se démonte pas et nous présente sa très attendue adaptation du Crime de l'Orient-Express, pour le meilleur et pour le pire.
Je tiens tout d'abord à préciser que Le Crime de l'Orient-Express n'est pas à proprement parler un mauvais film. L'enquête est rondement menée, le film est plaisant à suivre, et puis quel casting !
Car s'il y a bien une chose que personne ne pourra jamais enlever à ce film, c'est bien la qualité de son casting: Kenneth Branagh, Johnny Depp, Penelope Cruz, Daisy Ridley, Michelle Pfeiffer, Judi Dench, Willem Dafoe, Derek Jacobi… et j'en passe. Avec cette association de bons acteurs, le film ne pouvait s'annoncer sous de meilleurs auspices, mais, car il y a toujours un "mais"... ce sont bien là ses seules qualités.
Car oui, Le Crime de l'Orient-Express de Kenneth Branagh possède un certain nombre de défauts. Si je ne suis pas d'ordinaire coutumier du démontage de film gratuit, je dois malgré tout bien le dire, j'ai trouvé ce film affreusement laid, dégoulinant de dégueulasserie numérique à ne plus savoir qu'en faire. Je n'ai rien contre l'utilisation du numérique en tant que tel, mais force est de constater que dans ce cas précis, c'est trop, et surtout pas toujours nécessaire, loin de là. Je ne reviendrais pas en détail sur cette lamentable cinématique de jeu vidéo nous représentant la gare d'Istanbul ou ces couleurs flashy courant tout le long du film, sans oublier ces paysages absolument irréalistes, dignes du plus mauvais film d'animation Disney… bref. Mais soit, passons sur cette surenchère de fonds verts qui après tout est loin d'être un cas isolé dans le cinéma actuel. Alors quand est-il de la mise en scène ?
Et bien je ne peux nier que le film avance certaines idées intéressantes, les plans sont soigneusement pensés, cependant ! Une chose me chiffonne. Je n'ai jamais ressenti de quelconque tension, de quelconque suspens durant le visionnage de ce film, je ne suis pas parvenu à m'investir dans l'histoire. Pourtant, il s'agit bien là d'une enquête sur les traces d'un meurtrier, la tension, le suspens, l'angoisse doivent être palpables, et réussir cela n'aurait, je pense, pas était une prouesse quand l'on connaît la trame de l'œuvre d'Agatha Christie: Un train chargé de passagers est arrêté en pleine montagne par une avalanche, durant la nuit, un homme est mort, assassiné. Hercule Poirot se lance dans la traque de l'assassin qui se trouve toujours dans le train. Avec une trame comme celle-là, la vraie prouesse serait plutôt de n'induire aucune tension, aucune angoisse, aucun suspens… et Kenneth Branagh l'a fait. Si je conçoit tout à fait qu'il ne mène bien souvent à rien de comparer deux films en apparence tout à fait différents, je ne peux m'empêcher d'éclairer Le Crime de l'Orient-Express à la lumière d'un second film qui, selon moi, a brillamment réussi ou le premier a malheureusement échoué, à savoir Les 8 salopards de Quentin Tarantino. "Pourquoi ce film ?" me direz-vous. Et bien tout simplement car il me semble que ces deux films se ressemblent bien plus que l'on pourrait l'imaginer. Admettons tout d'abord les nombreuses similitudes scénaristiques: 1. Plusieurs individus dans un véhicule (le train dans Le Crime de l'Orient-Express et la diligence dans Les 8 salopards) 2. Le véhicule est stoppé par les conditions climatiques (avalanche dans Le Crime de l'Orient-Express et le blizzard dans Les 8 salopards) 3. Des individus qui ne se connaissent apparemment pas se retrouvent confinés au même endroit (le wagon dans Le Crime de l'Orient-Express et l' auberge dans Les 8 salopards) 4. Une menace invisible plane sur les individus (le tueur dans Le Crime de l'Orient-Express et l'allié de Domergue dans Les 8 salopards) 5. Une menace multiple et non unique (les passagers du train dans Le Crime de l'Orient-Express et les alliés et non l'allié de Domergue dans Les 8 salopards).
Avec Les 8 salopards Tarantino joue la carte de l'austérité, l'austérité du décor avec la mise en avant d'une nature hostile, mais également avec des couleurs sombres contrastant superbement avec la blancheur immaculée des paysages (NATURELS et non NUMÉRIQUES) enneigés. Mais là où Tarantino excelle dans son traitement de la tension, c'est en enfermant son récit dans un huis-clos. Une dernière pierre à la construction de la tension chez Tarantino: la musique de Ennio Morricone, une BO qui n'est pas sans rappeler l'angoissant The Thing de John Carpenter. Tous ces éléments réunies créent une tension, une angoisse, une paranoïa ambiante (tout le monde se méfie de tout le monde), un enfermement (le blizzard empêchant quiconque de sortir de l'auberge), qui ajoute encore à la tension du film… Bref, Tarantino crée une ambiance, une atmosphère propre au film. Et c'est justement sur les différents points que je viens de mettre en avant que Kenneth Branagh a échoué. Tout d'abord, les couleurs sont trop flashy, trop artificielles, la nature passe pour trop accueillante, je n'arrive tout simplement pas à croire une seule seconde à la détresse et au désarroi des personnages dans ce décor idyllique tout droit sortit du monde de La Reine des Neiges. De plus, Kenneth Branagh laisse trop de liberté à ses personnages, aucunes contraintes (ou presque) ne leur sont imposées, ce qui ne sert pas, là encore, l'établissement d'un quelconque tension, et c'est dommage, car dans ce cas précis, une mise en scène en huis-clos aurait était tout à fait appropriée en permettant de souligner la proximité de la menace et, par corollaire, aurait permis la mise en place d'une véritable tension. Au lieu de ça ces derniers se baladent à leur guise aux abords du train, jamais la menace ne semble réellement planer sur les protagonistes.
Pour finir, la musique est bien trop oubliable, car comme un trop grand nombre de BO actuelles, celle-ci ne raconte rien, ne galvanise pas, elle se contente de survoler le film, il s'agit là d'une BO tout bonnement banale.
Rien ne permet donc à Kenneth Branagh d'insuffler une quelconque atmosphère, une quelconque tension ni même une quelconque identité à son film. S'il tente malgré tout de pallier ce manque via deux scènes d'action tout à fait anecdotiques, il n'y a rien à faire, Le Crime de l'Orient-Express reste décidément un film banal. Ajoutez à cela que le film vieillira sans doute bien mal, la faute à son utilisation outrancière du numérique (car oui, le numérique étant sans cesse contraint de s'améliorer pour imiter au mieux le réel, il rend de fait obsolètes les expériences passées (Ex: La prélogie Star Wars de George Lucas)), et vous voilà en présence d'un film kitch et largement oubliable qui malgré un casting colossal et une histoire intéressante ne parvient pas à se transcender pour se hisser à la hauteur des plus grandes réussites du polar au cinéma.

Antonin-L
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le 12 mai 2021

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