Pas étonnant que ce film soit imparfait quand on sait que Welles estimait qu’il n’y avait rien de lui dans ce film et qu’il n’était, selon lui, qu’un moyen pour prouver à l’industrie hollywoodienne qu’il était à même de faire un film standard. Cependant, il faut pas lui ôter tout intérêt ! Si on est bien loin de l’ambition d’un Citizen Kane, il faut reconnaître que le travail sur les ombres est absolument renversant. Les personnages y sont comme englués dans une noirceur claustrophobique. Le jeu entre ombre et lumière est permanent et accentue poétiquement la dimension cauchemardesque du récit. L’obscurité emprisonne les personnages avec une réelle élégance. Le clair et l’obscur se répondent sans arrêt, offrant au film un esthétisme certain et une atmosphère angoissante. Le jeu d’ombres constant traduit aussi, en substance, l’idée des personnalités doubles du couple au cœur de l’intrigue mais aussi l’idée d’un passé sombre et celle, bien sûr, d’une menace à venir. L’ombre joue donc ici un rôle narratif, elle participe au récit en plus d’y apporter un raffinement dramatique. Souvent, d’ailleurs, les corps des personnages ne se résument qu’à des ombres projetées sur les murs.
Mais si l’on devait retenir une seule séquence, ce serait probablement celle de la diffusion des images des camps de la mort. Scène marquante, déstabilisante, violente et à la mise en scène sublime : c’est l’horreur de l’image qui illumine la pièce et les visages.
Pour ce qui est de l’histoire (à laquelle on résume trop souvent les films...), elle n’a rien d’incroyable et manque éventuellement d’ambition mais elle coche les cases du bon film noir : le méchant échappe aux gentils à l’aide d’un complice et se fait avoir à la fin. Si on n’est pas subjugué, on n’est pas non plus déçu. Imparfait donc mais pas sans intérêt. Imparfait... mais pas mauvais !
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