Dans la sphère du cinéma d’auteur français actuel, Quentin Dupieux est un extra-terrestre vivant aussi déconcertant qu’il est fascinant. Chacun de ses films, même ceux qui divisent littéralement le public en deux tel que Réalité ou ceux plus sages comme Au Poste !, a largement de quoi faire l’objet d’analyse et de théories diverses et variés tant chaque pitch du bonhomme semble sorti tout droit d’un cerveau à moitié fou.
Et pourtant les réalisateurs français qui font dans l’absurde, ça n’est pas récent, Bertrand Blier en est par exemple un très bon artisan avec Buffet Froid. Sauf que la façon de faire de l’auteur de Réalité et Rubber est telle qu’il écrit ses films de façon extrêmement déconstruit, à la direction scénaristique incertaine (de manière volontaire) bien qu’ayant certains propos récurrent, aux dialogues souvent improbables et au casting se livrant sans rechigner à ce jeu d’absurdité. Si ça n’est pas toujours une réussite (Wrong Cops était gras et lourd), l’indifférence n’a pas sa place devant eux et l’ivresse de la fascination répond souvent présent (Réalité pour ne citer que ça).
Le Daim s’inscrit assez facilement dans cette lignée puisque le pitch semble tourner autour du fétichisme de l’habit en peau de daim (on a bien un film sur un pneu psychopathe après tout) par une espèce de monsieur tout le monde (dans un premier temps) qui vire plus en plus parano, autocentrée sur sa personne et schizophrène conduit par une motivation aussi absurde qu’un pneu qui tue tout le monde et semble vouloir se taper un jeune femme : détruire tout les blousons du monde, les porteurs et porteuses de blouson dans l’unique but d’être le seul à en porter.
Fétichisme impossible à combler ou bien renfermement de soi sur un bien qu’on chérit après une rupture, ou simplement pour fuir la solitude et l’absence de vie sociale ? Car autant Réalité est un OVNI auquel il est difficile de donner un sens à son bric-à-brac scénaristique labyrinthique, pour d’autres de ses films Dupieux semble bien souvent travailler son aspect absurde et les objectifs de ses héros qui le sont tout autant qu’on est soit invité ou tenté d’y trouver un sens un temps soit peu rationnelle dans un univers qui, toute somme, ne l’est pas.
Et ça, ça se ressent également par l’absence de géographie précise des lieux, par la banalité ou encore le naturalisme des décors dans lequel George et les habitants du blèd mènent leur existence qui contraste constamment avec la caméra filmant le blouson en daim de George comme un personnage capable d’avoir des dialogues avec son porteur. Sans oublier qu’en prime : nous avons à des personnages ici qui ont vie uniquement dans la diégèse du film, n’ont pas de passé ou bien ça n’est qu’évoqué brièvement (le père de Denise ayant vendue sa boucherie, la prostituée qui fait du rendre-dedans au personnage joué par Jean Dujardin).
Et en cela, le film réussit dans ce qui est d’être drôle : de son comique de répétition (George qui ne cesse de répéter le même juron et "Un style de malade" pour vanter sa tenue de plus en plus constitué de peau de daim) en passant par le raisonnement non moins absurde mais étrangement crédible dans le monde présenté par Dupieux (l’incrédulité gagesque des figurants improvisés du faux cinéaste, sans parler de Denise qui devient de plus en plus fascinée par le projet de film sorti de nulle part de George) ou même son humour noir (la dernière scène).
Ceci étant dit, il reste quand même très difficile d’aborder un film de Dupieux à un seul visionnage. Ce n’est pas le genre de film qu’on saisit ou qu’on comprend dans sa globalité au premier coup d’œil tant le cinéaste pousse sa bizarrerie à un très haut niveau, en dehors de sa façon de filmer qui devient de plus en plus facile à distinguer sur ses derniers films (les couleurs pâles notamment via l’esthétique photo). Et tant il semble décider à déposséder chacun de ses films d’une vraie conclusion puisqu’aucun événement ne semble mener vers une fin fermée ou définitive.
Autre problème qui est plus attributif à Le Daim, c’est qu’à l’inverse d’un Au Poste ! plus accessible ou d’un Réalité qui envoûte par ses nouveaux éléments et ses ficelles de plus en plus entrecroisé, Le Daim ne parvient pas à captiver autant malgré ses bons ingrédients, on commence même à avoir un sentiment de redite et un manque d’âme qui se pointe à diverses occasions. N’ayant pas de crescendo en terme de rythme et le récit (si on peut parler de récit) étant conçue uniquement autour de l’imposture d’un personnage central et peinant à donner plus de place à des rôles alentours (ce que faisait plutôt bien Réalité et Au poste ! pour les citer une nouvelle fois). Même Denise laisse un sentiment de fadeur alors qu’elle est celle qui suit et s’enfonce dans la folie intérieure de George petit à petit.
Et enfin, je partage un certain scepticisme quant à la reprise de la thématique du film dans le film. Qui ici sert peut être d’introspection sur la carrière actuelle de Dujardin de plus en plus transparent dernièrement, mais ne servira au final qu’à servir sa fascination et son rêve grotesque d’être le dernier des porteurs de blousons sur terre. A bon escient certes, mais loin du délicieux non-sens poussé de son film le plus reconnu dernièrement.
Donc sincèrement je ne saurais pas dire comment j’aborderais Le Daim dans l’avenir, et on ne tient pas le film de l’année 2019 ni le chef d’œuvre voué à rester ancrée dans toutes les mémoires. Mais comme tout film de Quentin Dupieux, ça ne s’oublie pas si tôt, c’est perché, c’est insolite et ça mérite amplement qu’on y retourne un de ces jours ne serait-ce que pour apprécier l’absurde made in Dupieux. Et surtout made in Dujardin qui n’avait plus eu de rôle intrigant à son actif depuis un moment.