« L’homme est-il bon ou mauvais de nature ? »


Sollima le maudit



J'attendais avec impatience de voir le chef-d'œuvre de la trilogie western de Sollima, je ne vais pas aller jusqu'à dire qu'il m'a déçu (je l'ai regardé deux fois d'affiler...) Toutefois quand « Fine » apparaît à l'écran une impression étrange émerge, la larme à l'œil, on se dit : « Certes, c'est l'un des meilleurs western All'Italia, mais il y a comme un quelque chose d'inachevé, comme une œuvre qu'on a réduit au rang des chefs-d'œuvre du genre, alors qu'il aurait pu être un indispensable comme le sont les films de Leone».


Et effectivement, Sergio Sollima tenait un film de 2h30, avec à l'écriture Sergio Donati (déjà présenter dans ma critique de Colorado), vu les personnages et le sujet du film ce format paraît cohérent, avec un potentiel énorme. D'ailleurs après avoir vu Face à Face, j'ai repensé à 4 Mouches de Velours Gris de Dario Argento, ou encore Dossier Secret de Orson Welles. C'est le genre de films détruits par les producteurs, et surtout les distributeurs. En somme, toute la créativité et l'ambition des réalisateurs, mais surtout des scénaristes : bridés, stoppés, anéanties, tout simplement déprimant... Pourtant, c'est bien le producteur (Alberto Grimaldi) de Leone qui vend le film... Un peu comme Corri, Uomo, Corri, Le Dernier Face à Face me semble être un puzzle de 1000 pièces réduit à seulement 400.


Pourtant, le film a tout pour être vendu à sa juste valeur, Thomas Millan et Gian Maria Volontè pour le casting, un scénariste de talent (Serfio Donati), et Ennio Morricone pour la bande originale, que demande le peuple ? Un réalisateur de talent ? Sergio Sollima n'a pas certes l'aura de Leone, mais n'a pas à rougir de son talent. D'ailleurs, la version « intégrale » de 110 min rivalise aisément avec les œuvres du maître Leone. Car comme dans Colorado, Sollima livre un western maîtrisé derrière la caméra et surtout dans l'écriture, un peu comme Tarantino, il est meilleur scénariste que réalisateur.



Une fable humaine



Faccia a Faccia (j'adore la sonorité du titre) est bien un western de Sollima par la qualité scénaristique, et les enjeux profonds qu'offre ce dernier. Dès la scène d'introduction Sollima montre que son western n'est pas comme les autres. Avec ce professeur tuberculeux faisant ces adieux aux élèves avec un ton mélancolique et fataliste : « La chose ne dépend pas hélas de moi, ce qui me console en revanche, c'est qu'un court peut être interrompu et reprit à tous moment par d'autres. Parce qu'il n'existe pas d'hommes irremplaçables ». Mais le monologue de deux minutes de notre petit professeur n'est pas l'essentiel de cette scène d'introduction qu'on peut scinder en trois parties : monologue, réquisitoire, et l'annonce de la déchéance (le professeur regardant son reflet à travers un vitrail rouge, comme une apparition du spectre qu'il sera par la suite). Le terme réquisitoire est un peu fort, c'est plutôt la peinture de notre personnage faite par son supérieur. Il est lâche, faible, subissant son existence : « C'est une question de volonté, avec votre intelligence, vous auriez pu faire une carrière bien plus brillante, et beaucoup plus rapide [...] mais votre défaut, c'est le manque de volonté, le succès ne vient pas seul, il faut le forcer [...] celui qui ne lutte pas est vaincu d'avance, vous avez toujours subi les événements ». En moins de quatre minutes Sergio Sollima présente son personnage, dévoile l'intrigue du film, et démontre son talent de mise en scène. Richesse dans l'écriture et dans la mise en scène qui se confirmera jusqu'à la clôture de cet immense western All'Italia.



Sollima, c'est mon dada !



Sur le papier, c'est pourtant très simple : un professeur représentant la civilisation (humaniste, vivant dans le cadre de l'ordre établi) rencontre un Indien hors la loi membre de la horde sauvage (indomptable, impitoyable). A priori deux être incompatibles n'ayant rien à faire ensemble, et pourtant un certain respect mutuel apparaissent dès leur rencontre, chacun aura d'ailleurs une influence sur l'autre : l'Indien intrigué par l'humanisme du professeur, et l'autre par l'instinct sauvage de l'autre lui donnant une véritable force et liberté. Cette influence va devenir la nouvelle nature de chacun, comme un jeu de miroirs, au fil du récit le professeur va devenir plus dangereux que le hors-la-loi avec son intelligence, allié à sa nouvelle nature, alors que Beauregard (l'Indien) sera plus sensible aux valeurs humaines et à ce qui est juste. Mais le talent de Sollima est surtout de transposer ce jeu de manière naturelle, rien ne sonne faux. D'ailleurs contrairement à la majorité des westerns All'Italia la violence ne sert ici que de façade (pas véritablement utiliser pour donner du rythme au film par des scènes d'action), mais sert plutôt d'outil pour l'intrigue. Ah qu'il est fort, ah qu'il est beau, ah qu'il est grand, mon ami Sergio Sollima !


Il est inutile d'en dire plus sur cette œuvre, car même si le scénario de départ de Sollima n'est utilisé, sa richesse est telle qu'en 1h45, il y a tellement à dire. S'ajoute à ceci des jeux de caméra et de mise en scène tellement bien vue qu'une critique ne suffirait pas... Le fait d'avoir supprimé une partie du scénario original a pour effet de se centrer sur le duo de personnage, sans s'étendre sur les membres de la horde sauvage. C'est l'un des points qui m'a le plus frustré, on aperçoit à peine les membres que retrouve Beauregard pour faire renaître de ces cendres la horde. Ou encore très peu d'indices sur comment Fletcher (le professeur) va en arriver à imposer des règles si cruelles au sein de sa communauté. Certes, des points qui ne sont pas forcément primordiaux pour comprendre le film, sans doute pour éviter que l'intrigue principale perde en cohérence et puissance, mais quand c'est si bon, on en veut toujours plus...



Il était une fois en Arizona (Titre: deuxième sortie en France).



Très loin de la musique omniprésente des films de Sergio Leone, Morricone a choisi d'accompagner cette œuvre avec une musique discrète, mais toujours en parfaite harmonie avec le ton du film : mélancolique, désenchanté, et sauvage. Le maestro répond comme toujours au cahier des charges, je dirais même plus il dépasse nos expériences, toujours à surprendre par la qualité de ces compositions. Pour les amoureux du maestro voici sa contribution dans ce western envoûtant :http://youtu.be/EJgkd7lDuJg et http://youtu.be/b6Nyq8UnKUg .


Ce second volet mérite amplement sa réputation de chef-d'œuvre du western italien, et de meilleur épisode de la trilogie western de Sollima. C'est de la crème de spaghetti !

ElDiablo
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le 9 mars 2014

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ElDiablo

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