Nom d'une pipe de chameau vermoulu, que cela faisait longtemps que je n'avais pas vu ce film! Depuis mon enfance sans doute, peut-être un peu moins, autour de la 20aine d'années qui sait? Si bien que j'ai retrouvé ce plaisir d'être émerveillé par la joie et la force vitale qui transpirent du film.

Charles Chaplin est fascinant. La perfection de son jeu, la précision de chaque geste, de chaque mimique, la justesse du rythme qu'il donne à ses scènes me captivent davantage si c'est dieu possible. Il n'y aurait que ce discours final, humaniste, sans excès de naïveté, que le film exprimerait tout de même son vif amour de la vie, de tous ses pores, de toutes ses scènes.

Pourtant, il n'édulcore en rien la réalité. Bien au contraire. Sortie en 1940, cette satire politique est définitivement ancrée dans une réalité tellement tragique qu'on ne peut cesser d'y penser pendant le visionnage, de ressentir les horreurs nazies, de songer que Chaplin lui même n'était pas à en mesure de savoir, notamment, que ce qui se passait réellement en Europe dépassait l'entendement. Le film, avec le temps et le travail de l'Histoire, a pris par conséquent une teinte tragique supplémentaire, insoupçonnable à l'époque de sa sortie. Si Chaplin s'efforce de faire sourire avec cet épisode qu'a connu le monde des hommes, c'est pour montrer tout le grotesque de l'entreprise nazie, mais c'est aussi pour justifier la survie, le combat, la résistance.

Gageure? Admirablement troussée alors. Grâce à son personnage qui a encore tout du Charlot vagabond, que l'entre-deux-guerres a promu héros des temps modernes, étincelle d'humain dans un monde de brutes. Il parvient à jouer sur toute une palette d'émotions, du rire aux larmes. Entre l'absurdité du système totalitaire et l'étouffante angoisse que subissent les juifs du ghetto, en effet le scénario manœuvre sur un fil ténu, fragile, sans pour autant dépasser les bornes. C'est aussi cette capacité à garder un équilibre entre finesse du trait et violence du propos qui fait ressentir toute la sensibilité alliée à l'intelligence de l'artiste.

J'ai beau chercher, je ne trouve pas la faute de gout, l'erreur dans la distribution, le déraillement de l'histoire, le tempo qui s'affaiblit, tout est au contraire millimétré, comme conçu en une sorte de bloc, par la volonté d'un démiurge, d'un magicien.

Si l'on rentre un peu dans le détail, on va pouvoir savourer la diatribe anti-hitlérienne du clown Chaplin, celle qui singe, qui grossit les signes de la raideur mentale et physique, qui dénote l'absence d'intelligence et de raison chez le dictateur, enfermé dans sa folie. On pourra également apprécier la puérilité de la confrontation entre Hitler et Mussolini, le combat d'égo, le duel de mégalomanies.

Le jeu des comédiens qui l'entourent est souvent excellent. Maurice Moscovitch est sans doute celui qui m'a le plus marqué. Peut-être parce qu'il est un des rares à toujours rester en retrait, amer, désabusé, quand les autres reprennent espoir. Paulette Goddard est très belle. Ses yeux disent tout : l'espérance, la colère et la résignation. Elle aussi m'impressionne.

Et puis je ne pourrais oublier les chorégraphies auxquelles Charles Chaplin se livre sans arrêt, que ce soit pour échapper à la milice ou pour raser un type au rythme de Brahms, ou bien encore quand il illustre l'effrayante voracité de Hitler jouant avec son globe terrestre. Ces danses, ces mécaniques toujours formidablement bien rodées sont aussi extrêmement expressives, d'une efficacité et d'une éloquence rares.

Un des plus beaux films que j'ai vus, évidemment.
Alligator
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le 14 janv. 2013

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Alligator

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