Le Drôle de Noël de Scrooge
6.2
Le Drôle de Noël de Scrooge

Long-métrage d'animation de Robert Zemeckis (2009)

C'est un peu la rançon de la gloire. On félicite les oeuvres à la pointe des effets spéciaux et on coule sans vergogne les pionniers. Robert Zemeckis est très certainement le laissé pour compte de la formidable avancée technologique que représente la performance capture. Pour des réussites comme "Tintin", "Avatar" ou "Ready player one", il aura bien fallu à l'auteur de "Roger Rabbit" près d'une décennie de labeur pour parvenir à obtenir un rendu organique à lisière du live et de l'animation. Mais seize ans après la sortie du "Pôle Express" ou de "Beowulf", la dureté des adjectifs envers les expérimentations de ces deux films ne font que confirmer qu'être le premier n'est pas forcément la place la plus enviable. Zemeckis a essuyé les plâtres pour Spielberg et Cameron ? A lui d'être consacré aujourd'hui pour son opiniâtreté et son humilité devant la récupération de sa magnifique boîte à outils et du travail effectué en aval par ses pairs.


L'Art de Zemeckis


Pour peu que l'on connaisse l'oeuvre de Robert Zemeckis dans son ensemble, l'effet spécial a toujours trouvé du sens et s'est toujours mis au service de la narration. De "I wanna hold your hand" (Crazy Day) où le réalisateur usait adroitement de la grammaire cinématographique classique comme levier de vitesse du rythme et de la cadence en passant par les concepts méta du film dans le film de "Retour vers le futur 2", l'interaction du live et de l'animation dans "Roger Rabbit" puis de la déconstruction des corps dans "La Mort vous va si bien", le curseur du progrès se devait d'aller encore plus profondément dans le système afin d'offrir de nouvelles sensations aux spectateurs. Il y avait eu entre temps la caméra qui s'affranchissait des lois de la physique ("Contact" et "Apparences") et "la manipulation d'archive" entre personnage fictif et personnalité politique ayant réellement existée ("Forrest Gump"). L'entrée en fanfare de la motion-capture allait être le premier pas vers une forme nouvelle où les règles cinématographiques allaient être définitivement changées.


De la trilogie en "mo-cap" bâtit par Zemeckis, "Le Drôle de Noel de Scrooge" représente l'essai le moins identifiable. Si "Le Pôle Express" était en priorité adressé aux enfants et "Beowulf" aux fantasmes violents des adultes, l'oeuvre de Dickens par l'encodage "Zemeckissien" revêt un genre particulier, celui du conte horrifique. Distribué par Disney dont l'écrasant château bleuté marque au fer rouge le film dit d'animation en préambule, c'est bien l'Art de Zemeckis estampillé de sa boite de production "ImageMovers Digital" qui pervertira le film dans toute sa largeur ne laissant qu'à la multinationale à grandes oreilles, un final enchanteur à base de rédemption et de scènes de liesse. Car comment ne pas remarquer que "Scrooge" derrière les envolées lyriques de Alan Silvestri ne cache pas en son sein l'écharde qui va se fourrer dans l'index provoquant cette extase douloureusement horrifique. Un interdit que les grands enfants affectionnent et Zemeckis en particulier puisque lecteur des fameux EC comics, récits fantastiques à base de Zombies et d'esprits frappeurs. Non seulement "Scrooge" se révèle être un formidable terrain d'expérimentations visuelles mais il permet aussi d'offrir une mythologie proche des aspirations du réalisateur de "Retour vers le futur". Un matériau qui va se modeler à sa convenance et qui va lui permettre de retourner l'esprit de "Noel" comme une chaussette. Premier signe particulier, le faciès de "Scrooge". Un visage aux traits anguleux qui annonce un personnage antipathique qui va se mériter tout au long du métrage. Second signe, son dédain face à son ex associé "Marley" dont la dépouille repose dans un cercueil le jour de Noel. C'est sur cette opposition que va jouer le film en alternant l'idée de la joie populaire qui s'étale dans les rues et foyers et celle très personnelle d'une mélancolie et d'une atmosphère mortifère.


Déclencher des sentiments contradictoires


Aussi bien porté sur la convivialité que sur la putréfaction, Zemeckis a bien du mal à refréner ses élans de metteur en scène. En terme de possibilité, "Scrooge" dépasse le cadre de ce que le cinéma est en droit de donner. Prisonnier d'une gangue artificielle, le film est livré au syndrome de la démo un poil pathétique. Pourtant le réalisateur n'oubliera jamais la progression de sa narration et l'évolution de son personnage principal. "Scrooge" se rattrape in extremis en jouant sur sa temporalité en faisant avancer inexorablement son protagoniste du passé vers l'avenir via le spleen puis la mort. L'imagerie dans sa totalité se porte sur l'idée d'un destin funeste. Et si le premier esprit accompagnateur de Scrooge est celui d'une douce flamme un peu moralisatrice, le second a plus les traits d'un hybride entre un ogre et Santa Claus, sans compter le troisième et dernier plus proche de la silhouette de la mort que d'un guide compréhensif. Il n'aura pas échappé aux aficionados du cinéma de Zemeckis les similarités entre le dernier esprit frappeur de Noel et le serial killer encapuchonné de "Fantômes contre fantômes". Un exemple appuyé par l'autre étonnante similitude avec le film de Peter Jackson, la forme éctoplasmique en décomposition de Marley. Entre l'opus du réalisateur Néo-zélandais et celui de Zemeckis, il n'y a qu'un pas. Ce dernier étant d'ailleurs le producteur. L'interêt est donc dans le basculement progressif du conte de Noel vers le récit horrifique. Débarrassé de tout le fatras mis en place lors de son exposition folklorique et tapageuse, "Scrooge" s'en donne à coeur joie dans la collection de vignettes monstrueuses expurgée de tout Catholicisme laissant libre cours à la folie païenne de son "Architecte".


Voilà Un bel opus généreux à redécouvrir pour son imagerie morbide qui a forcé son réalisateur à mettre les clefs de sa boite de production sous la porte.

Star-Lord09
8
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le 30 juin 2020

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