Ramasser des pierres et s’en remplir les poches pour faire des ricochets, cirer ses chaussures, vider sa caisse à outils ou son sac à main, collectionner les photographies déchirées et jetées dans les poubelles environnant les photomatons. Les personnages que compose Jean-Pierre Jeunet pourraient se résumer à une ou plusieurs obsessions, à des tics, des habitudes, des manies qu’ils ont pris depuis toujours ou prennent suite à certains événements décisifs. Des obsessions qu’Amélie prend en charge et corrige à mesure qu’elle s’ouvre aux autres et découvre compassion, curiosité, altruisme ; une ouverture à autrui réversible, puisque la jeune femme quelque peu introvertie bénéficie de l’aide de celles et ceux qu’elle a aidés pour aborder l’homme qu’elle aime et lui déclarer sa flamme.


Voilà un récit à la fois simple – du point de vue de ce qu’il dit – et fort complexe – du point de vue de la manière avec laquelle il organise son propos, saute d’âge en âge, procède par échos et allusions comme une mémoire en train de se souvenir. Et là se tient la qualité essentielle du Fabuleux destin d’Amélie Poulain : une structure rhapsodique qui rejoue formellement le rapiéçage des mémoires et les soins apportés à leur rétablissement. Une lettre réconforte et redonne espoir, une boîte raccorde l’adulte au petit garçon qu’il était autrefois, une cassette avec, enregistrés, des programmes insolites confère une mobilité – ou une illusion de mouvement – à celui qui ne peut sortir hors de son appartement.


Néanmoins, les manies des personnages sont à l’image des manies du cinéaste : pas un plan qui n’exagère l’esthétisation, pas une scène qui ne revendique une maîtrise démiurgique, évacuant une idée pourtant chère aux thématiques défendues par le film : la beauté d’une rencontre seule gouvernée par le hasard. Jeunet s’obstine à tout planifier et délaisse la poésie véritable, celle que procurent – trop brièvement – les échappées de Nino et d’Amélie sur une mobylette, accélérées par le montage mais conservant intacte cette sensation d’instant en train de se passer et que la caméra capte sans diriger. Spectateurs et poésie étouffons quelque peu sous ce ciel de carte postale, exercice de style flamboyant et réalisé de main de maître, porté par une musique mémorable de Yann Tiersen qui a toutes les qualités et tous les défauts de l’œuvre qu’elle habille.

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le 6 août 2020

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