Le Fabuleux Destin d'Amélie Poulain par Philip Marlowe

Si Le Fabuleux Destin d'Amélie Poulain était un film un peu moins audacieux sur le plan technique et peut-être aussi légèrement moins littéraire, il serait sans doute apprécié par un plus grand nombre (ou plutôt dénigré par moins de personnes). Mais ce sont justement ces deux caractéristiques qui rendent le film unique.

Sur le plan technique, j'ai beaucoup apprécié la créativité du film pour plonger le spectateur dans l'intériorité d'Amélie et de Nino: la voix-off bien sûr, mais aussi l'identification à la femme au verre d'eau du portrait que peint le voisin d'Amélie, ou lorsque Amélie s'imagine le "film" de sa propre vie à la télé (belle mise en abyme !) ou enfin, le dialogue des bonhommes sur les photos du Photomaton. Cependant la fluidité du film est un peu contrariée par des plans très courts et assez maladroits qui semblent avoir été faits à l'arrache, par exemple le micro-plan où l'on voit Tautou en Zorro devant l'appartement de Colignon après avoir rendu justice, le micro-plan dans le train où des vibrations de la caméra se produisent sans que l'on puisse vraiment comprendre pourquoi, la scène "d'illumination" de l'aveugle après avoir été aidé par Amélie, ou enfin tous les montages un peu étranges où l'on voit les objets par transparence: la deuxième clé d'Amélie, les coeurs etc. Quelques transitions entre scènes sont également ratées. Toutes ces imperfections peuvent à mon avis gêner un peu le spectateur lors d'un premier visionnage, même si ce ne sont que des défauts de forme.

J'ai trouvé que le film était littéraire. Peut-être est-ce l'effort consacré aux émotions des personnages? A leur complexité? Au caractère fin du scénario, en contraste avec les scénarios bien huilés d'Hollywood ou même des films plus récents?
A vrai dire, j'ai même pensé qu'il s'agissait d'une adaptation avant de vérifier sur Internet. Cet aspect littéraire est ce qui fait la plus grande force du film, mais condamne dans le même temps toute inattention (à la différence du livre, on ne peut, en principe, revenir en arrière). Quelqu'un qui n'a jamais vu Le Fabuleux Destin d'Amélie Poulain ne peut pas le regarder comme un film du dimanche soir sur TF1. Il faut comprendre sur quoi porte le film, ce qu'il veut exprimer, il faut se préparer à une certaine expérience. Au début, on se demande un petit peu où est-ce qu'on va être embarqué. Le film introduit en voix-off un certain nombre de personnages comme dans un roman. Nous savons que la vie d'Amélie Poulain va changer. Mais de quelle manière, comment? Il faut se mettre à la place d'Amélie pour comprendre que son odyssée à la petite boîte rouillée est le mécanisme déclencheur du reste de son aventure: comme le dit la voix-off: "si ça l'touchait [Bretaudeau], elle se mettrait à se mêler de la vie des autres, sinon, tant pis". Et c'est en se mêlant de la vie des autres, qu'Amélie comprend que tous les "autres" ne sont pas égaux pour elle, et qu'elle tient à jouer ce rôle invisible en priorité dans la vie de ses proches: son père d'abord, puis un marchand de légumes odieux, puis ses collègues et la concierge de son immeuble. Là encore d'ailleurs, cette évolution de la motivation de l'héroïne est révélée par un procédé un peu inattendu, mais très rigolo, celui où Amélie se représente tragiquement sa vie dans un documentaire. Le spectateur perdu peut ensuite retrouver ses rails dans la rencontre Amélie-Nino qui finit par occuper le 1er plan dans la seconde partie du film. Mais, dans l'ensemble, le film est beaucoup plus riche que la rencontre amoureuse. Et le film n'est pas seulement une comédie romantique.

Voilà à mon sens les raisons qui peuvent expliquer que le film ne fait pas toute l'unanimité. Mais dans tous les cas, s'il y a bien deux choses qu'il faut reconnaître unanimement, c'est sa bonne dose d'humour et la fabuleuse bouille d'Audrey Tautou.