Je n'ai pas lu les romans de Burroughs (pas encore, du moins), mais d'après d'autres critiques, "Le Festin Nu" littéraire est assez éloigné de son adaptation cinématographique. M'étant toutefois renseigné sur la vie de l'artiste, j'apprends que ce bouquin n'est ni plus ni moins qu'une part autobiographique : époque perdue d'un auteur de la Beat Generation sous substances hallucinogènes.

Ainsi donc se présente le film : Bill, meurtri par la puissance des drogues qu'il s'injecte, plonge dans un monde cauchemardesque & absurde, peuplé de créatures collantes, fondé sur des complots industriels & chimiques, régi par une homosexualité latente. C'est dans la force de l'incompréhension que Bill évolue mentalement. L'"Interzone", comme il la nomme, est cette dimension métaphysique créée par l'esprit du junkie, qui mêle paranoïa, imagination & réalité.
A l'instar de la folie dépressive d'un Artaud ou du pessimisme affirmé d'un Ionesco, Burroughs a écrit une oeuvre compliquée, réputée inadaptable au cinéma. Pourtant, Cronenberg s'en charge, & le résultat est à la hauteur des pensées fantasmagoriques dont semble être empreint le Burroughs drogué. L'ambiance est malsaine à souhait, on s'y sent emprisonné, tout comme le drogué dans son emprise psychique après une prise : un monde unique, écarté de toute réalité raisonnée, s'offre à celui-ci, en dépit des éléments vrais qui veulent s'interposer pour réduire la folie dont il est victime. On perçoit de manière tout à fait convenable, grâce à l'interprétation de Peter Weller, la descente progressive aux enfers, d'une part à cause des effets de plus en plus violents des drogues, & d'autre part à cause de l'incohérence des évènements se succédant. Même si le drogué accepte sa prise, il advient un moment où il ne tolère plus ses injections, ne pouvant toutefois rien faire à cause de la violence du manque. La retranscription de Cronenberg est très juste, à mi-chemin entre la psychologie charnelle dont il est roi, l'horreur psychique, & l'atmosphère qui suinte d'une oppression jouant sur la transpiration, le mouvement lent & dérangeant, & les effets de clair-obscur.

Un film très juste, même si difficilement accessible en ne connaissant pas un minimum ses origines ou le réalisateur. Le spectateur est emporté par les pensées détraquées de Burroughs mises en scène par le maître du genre Cronenberg.
On regrettera cependant la longueur du film, dont certaines scènes sont largement évitables. Malgré cela, on appréciera les passages littéraires, comme lorsque les amis de Bill lui lisent un fragment de son oeuvre, ou lorsque ce même Bill raconte l'histoire de l'anus qui parle, dans la voiture d'Yves.
Satané
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le 18 mai 2012

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