À l’occasion de sa ressortie en DVD Je découvre ce très intéressant polar
restaurée , film méconnu en France, Le Flic ricanant, sorti aux Etats-Unis en 1973. Le long métrage, signé Stuart Rosenberg (Luke La Main Froide ; Amityville) est l’adaptation américaine du roman noir suédois éponyme écrit par le duo Sjöwall et Walhöö, quatrième opus d’une série de dix volets suivant un inspecteur et ses collègues devant faire face à des crimes sordides et à leur propre quotidien dans une Suède rongée par « le mal du libéralisme (économique) », nous explique François Guérif (dirigeant des éditions Rivages Noir) dans un documentaire des bonus des supports. Dans le film, l’action a été transposée aux États-Unis, mais bien des éléments des romans originaux ont justement gardés, tels que le travail de minutie dans la retranscription du quotidien policier.


En effet, regarder Le Flic Ricanant, c’est d’abord observer de nombreux gestes, ceux des officiers de police sur la scène de crime, aux postes de polices, lors d’une attaque, dans la rue à la recherche d’indices, bref, au travail. Toutefois Rosenberg n’en oublie pas son personnage principal, John Martin (nommé Martin Beck dans le roman), assez justement interprété par Walter Matthau (voir photographie de couverture ou le visuel du blu ray). Cet inspecteur bougon vient de perdre son coéquipier. S’il est en deuil, le protagoniste est surtout usé par son métier, abimé par la ville en déchéance qu’il tente de protéger. Lorsqu’il rentre chez lui, il échange peu de mots avec sa femme, mère au foyer, quelques uns avec sa fille, mais aucun avec son fils. Lorsqu’il hausse la voix avec sa femme, Martin s’excuse rapidement. Il n’a pas à faire subir ça à sa femme, qui constate l’usure morale et physique de son mari. Lorsque ce dernier rentre rarement chez lui, il mange seul et surtout passe son temps dans son bureau, isolé dans sa musique jazz digne du Rat Pack, soit l’écho d’un temps passé, sinon le son d’une époque fantasmée. Car Le Flic ricanant filme la misère, et le mal sous toutes ses formes d’une ville déchue, San Francisco. Oublié le Golden Gate et la Silicon Valley, voici San Francisco, une vieille grande ville sordide où l’espoir ne semble plus avoir de place. Même le fils de Martin goûte la pornographie dans des spectacles obscurs où des jeunes femmes mineures se tortillent pour quelques dollars. Lorsque le jeune rentrera, le père ne lui dira finalement pas un mot, il préfèrera s’isoler à nouveau, comme s’il n’arrivait plus à agir sur le monde en tant que père, mari, et individu, excepté lorsqu 'il avance en tant que corps policier.
Un corps d’inspecteur dont les protocoles sont sûrs, répétés, assez connus pour être déformés pour proposer une nouvelle gestuelle. Rosenberg filme à hauteur d’homme le policier et ses collègues, êtres qui subissent la violence de la drogue, de la prostitution, des arrangements d’hommes haut placés, ou encore d’individus rongés par l’argent et la possibilité d’en avoir plus dans ce système rongé par le capitalisme libéral. Cette Amérique déchue est filmée par Rosenberg avec un beau réalisme documentaire intéressant, appuyé notamment par l’importante présence de la musique , soit dans les radios, et autres appareils d’écoute sonore de l’intrigue. La noirceur du propos, liée à un effet de distanciation créé par ce réalisme, est poussée à tel point que l’absence d’attachement aux personnages semble possible. En effet, nous observons des policiers au travail, San Francisco et ses quotidiens, et chacun des personnages semble si rongé par les maux de la ville (et même du pays) à plus ou moins grande échelle qu’il semble parfois impossible d’avoir de l’empathie pour eux :
De Martin (Mattthau) s'isole du monde et s’énerve, quitte à être parfois violent (voir une scène avec la copine de son ex-coéquipier) ; en passant par celui de l’impeccable Lou Gosset qui vire parfois dans la violence, ainsi que au personnage du commissaire complètement hystérique qui pense trop beaucoup à la presse (voir le personnage à droite sur la photographie ci à droite) ; ou encore au deuxième premier rôle – joué par Bruce Dern, homophobe, bêtement casse-cou, violent, possiblement raciste et dragueur lourdingue.


Cette obscure vision d’une Amérique en déchéance n’était toutefois pas la première à être proposée au cinéma. En effet, on pense très vite à Bullit et French Connection sortis respectivement en 1968 et 1971.poursuite). Par ailleurs, French Connection utilisait aussi l’imagerie documentaire (d’après les dires mêmes du réalisateurs) pour capter le travail et aussi l’intimité de ses deux héros policiers à New-York, rongée par la misère, sale et grise, et abimée par ses trafics, parfois cachés derrière de beaux vêtements. Les héros de ce film et de Bullit principaux sont abimés par l’ensemble dont ils font partie, et aussi par leurs quêtes / leurs devoirs de policier, perturbant leur intimité, et parfois allant jusqu’à les faire passer dans l’abîme qu’ils chassaient. Pour le dernier cas, on pense bien sûr ici à French Connection et son protagoniste
Ainsi Le Flic ricanant ne révolutionne pas le cinéma comme semble l’avoir fait les romans (notamment d’après les dires de François Guérif dans le même documentaire), mais il est un excellent film noir qui gagne à être connu, et même reconnu. Les bonus comportent le très intéressant documentaire cité plusieurs fois dans cet écrit. Il a pour titre Le Paradis Suédois selon Maj Sjöwall et Per Walhöö, considérés comme les créateurs du polar scandinave contemporain.

HenriMesquidaJr
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le 20 oct. 2016

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