C'est toujours d'un air désabusé qu'il m'arrive d'entendre, à la volée disons, des comparaisons visant à mettre Hosoda à l'aune du vénérable Miyazaki. C'est certes flatteur pour la jeune étoile montante du cinéma d'animation japonais, mais cet art du raccourci facile (et inepte ?) me laisse perplexe, car quant à moi, si de comparaison je devais me risquer, ce serait davantage du côté du regretté Satoshi Kon que j'irais appuyer mon argumentation.
Prenons un exemple tout simple. Trichez pas dans le fond. Fermez les yeux. Quel est votre film préféré de Mamoru Hosoda (je vais être sympa, je ne compte pas ce qu'il a réalisé avant La Traversée du Temps, juste dans les quatre derniers donc) ? Facile. Est-ce le premier film que vous avez vu de lui ? Facile aussi, dans 99% des cas la réponse sera 'oui' (le 1% restant étant composé de tricheurs qui ne suivent pas les règles du jeu). Maintenant faites le même exercice avec Hayao Miyazaki. Pas aussi simple, vous en conviendrez ! OK, maintenant la même chose avec Satoshi Kon (promis après c'est terminé) ? Premier film vu, film de cœur, n'est-ce pas ? Banco.
Parce que le cinéma de Hosoda ne se limite pas à la somme de ses passions et obsessions (chose qui, au cas où vous ne l'aurez pas remarqué, est typiquement standard au Japon, chaque réalisateur possédant ses marottes personnelles le suivant sur l'ensemble de sa filmographie), mais plutôt à une approche, une technique de travail s'éloignant diamétralement des us et coutumes ghibliesques. Hosoda est le penchant spontané, juvénile, névrosé, l'expressionnisme face à l'impressionnisme calme, réfléchi et dense de Miyazaki. Ce qui en fait un réalisateur fondamentalement imparfait, doté d'une filmographie bancale donc on chérira, bien souvent, surtout les premiers amours. Parce que le cinéaste parle avec son affect ; plus attaché qu'il est aux grandes lignes qu'aux petits détails, il bariole ses toiles de grands gestes, d'idées fusant comme des feux d'artifice. Pas le temps de réfléchir, voici déjà le prochain concept poindre du bout de son nez. C'est à la fois exténuant et revigorant, comme un gamin découvrant la neige pour la première fois.
Voir un film de Mamoru Hosoda, Shania vous l'expliquera sans doute mieux que moi, c'est une bataille interne de tous les instants. Duel au sommet entre l'adulte objectiviste, qui a bien grandi et à qui on ne la fait plus, et l'éternel enfant prêt à passer l'éponge sur beaucoup de choses pour un tour de manège supplémentaire. Alors oui, Le Garçon et la Bête est diablement imparfait : les deus ex machina sortent des placards, le love power dégouline de partout, et à l'instar de La Traversée du Temps et de Summer Wars on triche généreusement avec les règles instaurées initialement histoire de donner un coup de pouce aux gentils. J'aurais envie de dire que c'est typiquement japonais, pour le coup, c'est Goku qui se transforme en Super Saiyan niveau 72 pour écraser le nouveau méchant venu détruire la terre. C'est l'open bar narratif, et au passage tout ce que Miyazaki, Takahata et autres Yonebayashi exècrent au plus haut point. Des nuages de fumée de partout ; et le pire, même pas besoin d'être expérimenté(e) en la matière pour voir les cache-misères dans tous les recoins. Hosoda s'en fout, le temps de s'en rendre compte on est déjà passé à autre chose, et le film n'a pas le temps de se casser la gueule sur ses propres incohérences. Parce que nous, pendant ce temps-là, pourtant bien conscients de la supercherie, nous sommes bien plus occupés à essayer d'attraper la queue du Mickey. On rigole, on s'émeut, on se révolte de bon cœur, parce que fondamentalement on a tous bien besoin de ce genre de gourmandise de temps à autres.
Parce qu'en plus, c'est réalisé avec passion et sincérité. Hosoda n'est pas vraiment du genre à agiter sournoisement la bande de tissu sous notre nez, lui est sur le manège depuis longtemps déjà, en première ligne pour essayer de l'attraper avec nous. Un vrai gamin, avec tout ce que cela implique en maladresses et approximations. L'ensemble tient debout car les thématiques abordées possèdent un soupçon d'universalité et brassent large. C'est généreux, parfois trop, mais c'est toujours impeccablement joué sur l'affect, corde sensible à double tranchant du cinéaste. Le film ne s'embarrasse pas d'approfondissements, mais on en ressortira toujours avec quelque chose qui nous a touché plus personnellement que le reste.
Ici, la famille reste une fois encore le cœur (nucléaire) du propos, mais pour ma part j'ai été saisi par un bourgeon d'idée qui ne germera sans fanfare qu'au milieu du métrage, dans un diptyque d'apprentissage, d'abord entre Kyuta et Kumatetsu, puis entre Ren (malicieusement revenu à son nom de naissance) et Kaede. Autodidactique contre apprentissage social : Le Garçon et la Bête ne tranchera jamais sur la question, statuant sur une réponse de normand avant de rapidement passer à autre chose, mais le film aura eu le mérite de soulever l'idée, avec tout ce que cela entend de raisonnements et d'implications personnelles. Une piste de réflexion toute bête parmi tant d'autres distillées 120 minutes durant, et pour ma part il a fallu que je relève celle-ci, parce qu'elle tapait sans doute un peu trop près du cœur, peut-être parce que j'ai cru y percevoir une forme de frustration de la part de Hosoda, encore considéré chien fou en son pays pour avoir appris les codes de manière moins orthodoxe que ses congénères. Allez savoir. En tout cas c'était très personnel, pour moi comme pour lui manifestement , et je ne dis pas que tout le monde aura le même ressentiment sur ce point précis, mais à chaque fois, dans chacun de ses films, il y a toujours eu, et il y aura toujours ce moment où ça fait zap et où la poitrine se soulève d'exaltation.
Voilà pourquoi on continue à s'impatienter d'un nouvel Hosoda dans les salles obscures, tout en sachant pertinemment que rien ne pourra prévaloir de son tout premier rendez-vous avec le Monsieur : nostalgie aidant, on lui prêtera sans doute des qualités qui n'ont pas lieu d'être, mais on en redemandera volontiers, car c'est toujours l'assurance de passer un bon moment, à condition de fermer les yeux, ou plutôt de se laisser porter dira-t-on. Ainsi je pense que l'on rendra honneur au cinéaste en le rapprochant de Satoshi Kon, dont les films malades brassaient eux aussi des thématiques multiples, mais surtout parce que Kon, contrairement à Miyazaki, réalisait pour lui-même avant de réaliser pour son public. En ce qui me concerne, rien ne me touchera autant qu'un réalisateur se mettant métaphoriquement à nu pour me prendre à parti. Pour Hosoda, c'est toujours la même rengaine, toujours cette chaleur des ambiances estivales dont je ne me lasse pas, toujours ces conclusions abracadabrantesques, toujours ce pacte sacré, récité à demi-mots : allez viens, je vais te parler de trucs, tu ne seras peut-être pas d'accord avec moi, mais on va grandir de nos espoirs, de nos craintes, de nos névroses, de nos bonheurs, de nos malheurs, ça va péter de partout comme un feu d'artifices cathartiques, tu te diras que c'est trop gros, ça peut pas passer, mais promis tu te sentiras super bien à la fin. Let's go.
S'il te plaît Mamoru ne change jamais, il y a peut-être une lignée impressionnante de personnes géniales et hyper-talentueuses avant toi, mais il n'y aura jamais qu'avec toi que j'irai faire les plus grosses bêtises, avant de rentrer me goinfrer de brioche l'œil mutin. Il n'y a jamais qu'avec toi que j'accepte les plus grosses énormités, les raccourcis les plus grossiers, et que depuis bientôt 10 ans maintenant je garde une âme d'adolescent bien ancrée à chacun de nos rendez-vous. Mais sérieusement, tu ne feras jamais aussi bien que La Traversée du Temps hein.
P.S. : si jamais tu te posais la question, mon premier grand amour avec toi c'était ça. Allez, avoue, tu ne t'y attendais pas à celle-là.