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La Pologne et le Nihilisme : voyage parmi les cyniques, les allumés et les désespérés.

Le Goût de la haine est sans doute l'un des films les plus glaçants, les plus profonds et les plus éclatants de l'année 2020, notamment sur Netflix. Dans cette Pologne magnifique et traversée de part en part par des clivages de plus en plus terribles, dans laquelle les élites font sécession avec le peuple (et réciproquement), dans cette Pologne coincée entre le fantasme de l'Europe Chrétienne assiégée par l'Islam, et de l'autre d'un pays déchu face à la menace fasciste, Jan Komasa nous offre une satire sociale d'une rare cruauté et d'un rare cynisme, à travers les yeux d'un jeune homme polonais qui, après avoir été exclu de son université pour plagiat, se reconvertit dans le marketing social. Ce jeune homme, provenant de la plus profonde campagne polonaise, se comporte comme un Bel-Ami monstrueux, un magnifique troll d'internet, un arriviste intelligent et méprisé qui lutte, pour des raisons tout aussi personnelles que sociales et professionnelles, dans l'unique but de détruire, dans une forme de nihilisme rarement égalé, la société qui le refuse avec une violence symbolique terrible. Ce film dégage une oppressante angoisse dont il est particulièrement difficile de s'extirper, et qui se transforme bien vite en un haletant thriller politique assez exceptionnel. Le réalisateur polonais dépeint ici une allégorie flamboyante d'une Pologne sombrant peu à peu dans l'anomie et la violence.


Que dire de cette famille bourgeoise et méprisante, toute pétrie d'une condescendance de classe à vomir, se shootant à l'art contemporain et aux dîners mondains, envoyant ses enfants étudier à l'étranger tout en méprisant sa propre jeunesse nationale perdue, jusqu'à sa propre famille quand elle n'est pas bien née ? Que dire de ces beaufs ahurissants de bêtise scandant des slogans d'une médiocrité rare, vivant de la culture du troll d'extrême droite et dans le fantasme de la défense armée d'une Europe boréale ? Que dire de cette classe politique nauséabonde vivant dans le luxe et le lucre, se livrant à des ridicules batailles de communication via des agences spécialisées amorales ? Que dire, enfin, de ce jeune homme froid et ambitieux, symbole du jeune mâle blanc européen en déshérence, aux ambitions prédatrices effrayantes et vengeresses, au regard d'une froideur inouïe, capable de donner jusqu'à son corps même pour arriver à ses fins, dans une perpétuelle ambiguïté? Parce que le secret de la réussite de ce film franchement exceptionnel est sans doute là, dans le jeu incroyable de Maciej Musialowski qui, en un regard, veut tout dire et ne rien dire à la fois : une merveille de sensualité et de grâce dans le cinéma. Dans cette Pologne séparée en deux, parmi les cyniques, les allumés et les désespérés, une figure romantique semble toutefois émerger : celle d'une passion nihiliste exceptionnelle, aux secrets mystérieux et aux valeurs indécises. La victoire du Rien.

PaulStaes
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le 9 août 2020

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Paul Staes

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