Shuhei Hirayama est le personnage presque omniprésent de "Le goût du congre". Mais qui est son modèle ? Qui influence le mieux leur groupe d'amis ? Le testament philosophique de Yasujirô OZU (son dernier film avant sa mort en 1963) semble incarné par M. Shuzo Kawai. Celui-ci poursuit l'idéal d'une vie de qualité. Il craint que Shusei, à l'image de leur ancien professeur, refuse de marier sa fille par égoïsme, puis tombe dans la déchéance et l'alcoolisme.


Kawai critique la confusion des générations qui frappe les hommes vieillissants, prêts au sacrifice des filles pour assouvir leurs instincts égoïstes. Les scènes de boisson avec l'ex-professeur sont d'un humour douloureux. Kawai se moque des veufs quinquagénaires qui privent leur fille de mariage pour assurer leur confort familial. Il propose à Shusei un jeune homme pour Michiko, sa fille de 24 ans. Et pour le convaincre, il monte un canular. M. Horié, un de leurs amis, aurait déjà présenté le prétendant à une autre jeune fille... Shusei surmonte alors ses hésitations, incite Michiko à opter pour le mariage.


Ce blagueur de Kawai récidive ! Il fait croire à Shusei que Horié ne viendra pas à leur soirée. Pourquoi ? s'étonne Shusei. Car il est mort d'une attaque. En effet, pour tromper son veuvage, Horié vient de se remarier avec une jeunette. Ses nuits torrides lui auraient été fatales ! Un humour noir qui dénonce le sacrifice des jeunes filles, privées d'un époux de leur âge par des veufs démangés par le sexe.


OZU entrelarde ses histoires dramatiques d'humour et de musique légère. Une petite ritournelle de violons et de xylophone batifole de scènes en scènes avec ses flonflons insouciants. Dans un bar, Shusei retrouve un matelot, dont il a été le capitaine pendant la guerre. Le matelot est aux anges, réclame l'hymne de la Marine. Sur ses notes martiales, tous multiplient le salut militaire dans une scène cocasse où les souvenirs de guerre deviennent mythiques. Non, OZU n'est ni nationaliste, ni militariste ! Shusei nie que la victoire du Japon aurait été préférable. La défaite lui convient parfaitement.


Le titre japonais synthétise mieux le film que "Le goût du saké". Le congre est une grosse anguille carnassière. Il symbolise la voracité des mâles sur le déclin, enclin à tomber dans des dépendances indignes. L'alcoolisme, certes, mais aussi la luxure ou d'autres formes d'égoïsme. Après le mariage de Michiko, Shusei se saoule pour noyer sa tristesse et sa solitude. Maintenir une vie digne est un long processus, à franchir étape après étape, dans une lutte silencieuse contre une part de soi-même.

lionelbonhouvrier
9

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le 25 juin 2018

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