Quinze ans après son dernier film (Narco, déjà avec Guillaume Canet et Benoit Poelvoorde), le comédien Gilles Lellouche retourne derrière la caméra pour Le grand bain. De loin, le film peut faire penser à un Rasta Rocket ou un Full Monty, d’ailleurs appelé Le grand jeu à sa sortie française : le récit d’une bande de bras cassés qui se rencontrent et se révèlent dans une activité que l’on ne voyait pas forcément pour eux à la base (des jamaïcains et du bobsleigh, des chômeurs anglais et du strip-tease, ici des quarantenaires tristounets et la natation synchronisée). Et pour une fois on aurait raison de le penser, le grand bain adopte une structure qui a fait ses preuves. Mais non content de tutoyer sans soucis ses prédécesseurs, il arrive à trouver un délicat équilibre entre la noirceur de son propos et un ton résolument solaire qui nous donne peu de remords à le placer dans la liste des potentiels grands films générationnels français. C’est simple, Le grand bain réussit tout ce qu’il touche.


Mathieu Almaric, chômeur dépressif limite Houellebecquien dans une petite banlieue d’un coin morose de l’hexagone, va s’inscrire au cours de natation synchronisée masculine de sa piscine locale. Tous les nageurs y voient autant l’occasion de faire du sport que de débriefer sur leurs existences. On découvre alors une bande à qui la vie semble avoir fait passer un sale quart d’heure tout au long de ces quarante dernières années, la prof incarnée par une excellente Marina Foïs n’étant pas la moins fracassée du lot. Si la première partie du film consiste – on pouvait s’en douter – en la présentation de ses personnages, la qualité du casting toujours juste associé à une écriture au cordeau osant un humour parfois très noir mais toujours très drôle donne un aspect neuf à ce passage obligé. On est happé par la justesse des petits riens que Lellouche capte, les premiers sourires d’Almaric, la roublardise foireuse de Poelvoorde, la colère œdipienne de Canet, le rocker has been Jean-Hugues Anglade déconnecté de la réalité sans oublier un Philippe Katerine hallucinant, beaucoup mieux dirigé et équilibré que dans ses derniers rôles plus caricaturaux (Un beau soleil intérieur, Le monde est à toi). Le récit choral évite également l’écueil de s’engluer dans ses références aux années 80 ou dans d’interminables engueulades. Comme des gamins, on les suit dans les 400 coups qui forgent leurs amitiés jusqu’à l’acmé finale, leur rêve légèrement dingue de s’illustrer aux mondiaux de leur discipline.


Le grand bain est l’histoire d’une bande de noyés qui réapprennent à respirer. Dire que ce film fait du bien est un euphémisme.


Ses 2h s’envolent comme un charme, le rythme est tenu par l’enchaînement de ses situations variées. Niveau caméra, on aurait pu s’attendre à ce que Lellouche se contente d’un minimum syndical, après tout ce scénario aurait pu se suffire à lui-même, mais non. Filmé avec beaucoup de goût en refusant toutes références trop marquées (au plus une petite parodie de film de casse qui passe très bien), Le grand bain montre une maîtrise réelle de ses créateurs. On est surpris par un bête champ-contrechamp quand il dévoile un troisième larron dans la discussion, ou par une simple vitre qui sert à couper l’écran en deux pour montrer l’opposition d’un des nageurs face au reste du groupe. On n’est pas devant le Citizen Kane de la comédie française, ça n’a jamais été l’intention, mais on est très au-dessus de la réal de mauvais téléfilm aux couleurs saturées étalonnées sur Instagram qui fait le gros du cinéma hexagonal (alléluia).


Si Gilles Lellouche a parfois tendance à être catalogué dans des rôles de tonton beauf, son film n’est en rien un cliché ou en manque d’idées. À l’image de ses héros, Le grand bain n’a aucune prétention mais une immense volonté de bien faire. Bien pensé, bien conçu, bien joué, tapant juste, derrière le chlore, il y a comme le goût d’un futur classique.

Cinématogrill
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le 30 oct. 2018

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