Présenté en mai dernier hors compétition au Festival de Cannes, "Le Grand Bain" (1er long-métrage réalisé en solo par l'acteur Gilles Lellouche) a fait l'objet d'une véritable ovation une fois la projection terminée.
Avec à la clé un casting français "all stars" où se côtoient des comédiens aux horizons divers et variés tels que Mathieu Amalric, Guillaume Canet, Benoît Poelvoorde, Jean-Hugues Anglade, Virginie Efira, Philippe Katerine, Leïla Bekhti ou encore Marina Foïs, le tout dirigé par un acteur/réalisateur ayant le vent en poupe et porteur d'un fort capital sympathie auprès du public, "Le Grand Bain" possède tous les ingrédients pour devenir l'un des gros succès français de cette fin d'année. Ajoutons à cela des critiques pour la plupart très positives et une campagne promo qui n'a pas lésiné sur les moyens.


Venons-en maintenant au film en lui-même.
La première chose que l'on constate en le regardant (et même en y repensant après) est qu'on a enfin affaire à du cinéma populaire français de qualité, à la fois drôle et intelligent, et même un minimum ambitieux en terme de mise en scène. Un peu comme Albert Dupontel l'avait fait l'an dernier avec son "Au-revoir là-haut", Gilles Lellouche démontre à son tour que la France, en terme de cinéma, peut nous en mettre plein la vue en terme d'humour, d'émotion et de réflexion, à condition qu'elle soit entre de bonnes mains.
Sur base d'un postulat de base a priori peu alléchant (six quinquagénaires tous bien cabossé par la vie décident de participer à une compétition de natation synchronisée de niveau mondiale qu'ils envisagent comme une sorte de second souffle à leur existence), le réalisateur cherche avant tout à nous faire partager à la fois les bons moments (ponctués de francs éclats de rire) et les coups durs de ses personnages, tout en subtilité et en émotion contenue, sans aucune forme de vulgarité ou de voyeurisme facile. Dès lors, ces derniers nous apparaissent comme attachants, voir même familiers, dans la mesure où l'on finit par se reconnaître un peu dans les travers de ces six hommes qui essaient juste d'exister, de s'affirmer dans une société de plus en plus gangrené par le profit et la réussite à tout prix. Et ce qui fait l'une des grande forces du film, c'est que, plutôt que d'opter pour un point de vue social appuyé à la Ken Loach ou frères Dardenne, Lellouche préfère une ambiance comico-philosophique, privilégiant les séquences dans lesquelles ses personnages se questionnent sur eux-même, le sens de leur existence, l'amitié, l'envie de croire en ses rêves et de se dépasser pour y arriver. Force est de reconnaître que ces quelques thèmes abordés s'agencent tous parfaitement bien et ne sont pas là pour plaire à tout prix et déplacer les foules en masse, ils ne sont jamais gratuits et sont même utiles pour décrire les liens entre ces six hommes tous très différents en terme de vie et de caractère.


L'autre grand point positif du film est incontestablement son sens du comique. On sent que Gilles Lellouche a souhaité rendre son film le plus humain possible (ce qui est amplement réussi) en faisant en sorte que nous-autres spectateurs puissions nous reconnaître à travers celles-ci. Qui n'a jamais rigolé devant une blague balancée par un pote autour d'une bière ?, Qui n'a jamais philosophé de manière comique sur sa propre vie de famille ou avoué, de manière satirique, son ressenti personnel très sarcastique à l'égard d'un membre de sa famille (où belle-famille) avec lequel il ne s'entend pas très bien ? Ce genre de conversations (même un peu arrosée), nous les avons déjà toutes vécues, où en tout cas au moins une. Et Gilles Lellouche arrive à rendre tout ça à la fois drôle, touchant et même réflexif ; impression qui se traduit aussi par le grand talent de ses comédiens.


En terme de pure mise en scène, "Le Grand Bain" propose aussi des choix intéressants. Entremêlant de manière subtile la voix-off, les panoramiques et travelling verticaux et horizontaux pour rendre compte des états d'âmes physiques et psychologiques de ses personnages, choisissant d'ouvrir son film sur une séquence purement philosophique, Lellouche fait le choix de l'ambition technique tout en restant humble, sans basculer dans l'exercice de style facile (à savoir concevoir des beaux plans pour montrer qu'on sait le faire). Cette ambition stylistique trouve son paroxysme le temps d'une magnifique séquence de compétition (dont nous ne dévoilerons pas les détails) au son du non moins sublime "Easy Lover" de Phil Collins. "Mise en scène ambitieuse pour rendre compte, justement, de l'ambition perdue d'une poignée d'hommes"; tel semble avoir été le leitmotiv principal de Lellouche pour entreprendre son film.
Concernant son inspiration, "Le Grand Bain" a été fortement comparée à "The Full Monty", comédie sociale anglaise sortie en 1997 mettant en scène une bande d'amis au chômage qui décident de se lancer dans un spectacle de strip-tease pour s'en sortir financièrement. Si on peut certes y voir comme point commun l'envie de deux groupes d'homme de continuer à exister, le film de Gilles Lellouche s'en écarte tout de même largement en terme d'ambition stylistique et même d'humour, celui de "The Full Monty" étant fort ancré dans un contexte social là où celui du "Grand bain" se retrouve avant tout dans les moments de rigolade entre les personnages.
En terme d'inspiration, "Le grand bain" se situerait plutôt du côté des "comédies de potes" à la Yves Robert, dont "Un éléphant, ça trompe énormément" et sa suite "Nous irons tous au Paradis" et même, pour son côté réflexif, à "Vincent, François, Paul et les autres", la chronique douce-amère sur l'amitié réalisé par Claude Sautet


Comme brièvement mentionné plus haut, la réussite du "Grand bain" tient aussi à l'alchimie et au formidable esprit d'équipe de sa bande de comédiens. Là où l'on pouvait craindre d'éventuels guerres d'ego de stars, il n'en est absolument rien, chacun ayant même droit à sa propre séquence émotionnelle et humoristique. Entre un Mathieu Amalric qui prend enfin le risque de sortir de sa zone de confort (Desplechin et le cinéma d'auteur) pour s'aventurer avec un plaisir communicatif sur le terrain de la (bonne) comédie populaire française, un Benoît Poelvoorde hilarant et en très grande forme, un Guillaume Canet mi-mélancolique mi-ronchon, le film parvient à tous les faire cohabiter et exister de manière très fine. Mention spéciale à Philippe Katerine, particulièrement attachant en grand enfant au coeur tendre qui passe avec brio de la joie la plus rigolarde à la mélancolie la plus intense, le tout sans excès grimaçants ou larmoyants ; à noter également la prestation complètement décalée (dans le bon sens du terme) de Leïla Bekhti qui s'en donne à coeur joie en coach tyrannique et complètement hystérique.


Dans l'ensemble, sil "Le Grand Bain" constitue assurément l'un des tout grands films français de cette fin d'année (ou même de l'année, tout court), des défauts sont quand même à signaler, à commencer par un démarrage assez lent, durant lequel le réalisateur prendre tout son temps (un peu trop même) pour nous présenter ses personnages. Si, en soi, ce n'est pas une mauvaise chose que de nous plonger (c'est le cas de le dire, tiens!) dans le quotidien de ces six hommes, il aurait peut-être fallut aller un rien plus vite en terme de rythme et ce, d'autant plus que, en début de film, le film hésite tout de même le temps d'une séquence (l'introduction du personnage joué par Mathieu Amalric) entre la douce tristesse et l'humour pince-sans-rire.
A noter aussi, le fait que, parmi les six personnages, deux sont laissés pour compte tout le long du film. Contrairement aux quatre autres, on ne sait rien (ou en tout cas vraiment pas grand chose) de leur vie et leur quotidien, ce qui est tout de même un peu paradoxal dans le cadre d'un film qui veut avant tout ériger l'esprit d'équipe.


Quelques petits défaut certes, mais néanmoins minimes dans un film de très grande qualité, servit par une très belle brochette d'acteurs, un scénario qui trouve le parfait équilibre entre séquences hilarantes et moment d'émotions pure, une mise en scène inventive et une B.O dopé aux 80's qui fera le bonheur de certains.


On sort de la salle souriant et ému, avec le sentiment très agréable d'avoir à la fois bien rigolé et bien réfléchit. Et Dieu sait à quel point ce n'est pas souvent le cas !

f_bruwier_hotmail_be
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le 5 nov. 2018

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