Grand Jeu peut-être, mais pas grand film

Depuis The Social Network, le Stratège et Steve Jobs, trois des scénarios les plus brillants de ces 10 dernières années, on attend chaque nouvelle livraison d’Aaron Sorkin avec la même impatience que s'il s'agissait d'un post de Booba sur Instagram.



C’est donc peu dire que son premier film en tant que réalisateur était sacrément attendu et faut bien reconnaître que c’est une petite déception. Haute comme trois pommes certes, mais quand même. On attendait du grandiose, c’est juste bien. Ce qui relèverait du miracle pour un Roland Emmerich ou un Joss Whedon nous laisse un peu sur notre faim pour un virtuose comme Sorkin.


Peut-être parce que le film se regarde un peu trop être futé, notamment en abusant de cette voix off caractéristique des films de gros malins : ça parle vite, ça fait des calculs à toute berzingue et ça te balance des chiffres et des infos sans reprendre son souffle, le tout avec le recul des gens qui en ont dans la pastèque. 
Ou le syndrome du singe savant appliqué à la voix off. 



Cela dit, comme chez Scorsese, cette forme de narration a aussi pour avantage de nous épargner d'interminables scènes d’exposition et de permettre au réalisateur de couvrir une longue période, en l'occurence les 10 piges pendant lesquelles Molly Bloom a organisé des parties de poker clandestines, d’abord pour la jet-set, ensuite pour la pègre.


Rassurez-vous cependant, le film ne parle pas de poker. Enfin si un peu mais on s’en tamponne le coquillart en vrai. Ce qui intéresse Sorkin c’est son personnage principal et son espèce de code de l’honneur qui a sauvé pas mal de têtes à Hollywood et ailleurs. En effet, une partie du film repose sur les motivations réelles de Molly Bloom. Pourquoi quelqu’un promis à un avenir brillant s’est lancé là-dedans ? Pourquoi n’a-t-elle balancé aucun nom alors que ça l’aurait mis à l’abri du besoin sur plusieurs générations ? Pourquoi faire preuve d’une telle intégrité morale face à des gens qui n’en n’ont pas plus que de beurre au cul ?


Le film, qui s’ouvre sur une chute (au sens littéral) et se termine par une renaissance (au sens figuré mais illustré littéralement), essaye de répondre à ces questions en narrant l’irrésistible ascension de Molly Bloom sans occulter sa part d’ombre.
C’est d’ailleurs en ça qu’il diffère de la plupart des biopics. Aaron Sorkin ne juge ni ne condamne son héroïne. Pas de shot de moraline à trois francs six sous le caramel mou, ce qu’il veut c’est comprendre Molly Bloom en la montrant sous toutes les coutures, mais toujours avec le plus grand respect.


Evidemment, l’empathie fascinée de Sorkin pour son sujet y est pour beaucoup. C’est à son service plus qu’à celui de son film qu’il met tout son savoir-faire de maître dialoguiste. Ainsi, Jessica Chastain, incroyable dans le rôle de cette femme magnifique qui doit tout à son intelligence plutôt qu'à ses charmes, est de tous les plans. Certes Kevin Costner, et surtout Michael Cera et Idris Elba, sont excellents, mais au bout du compte, il n’y a qu’elle. Tous les personnages n’existent qu’à travers leurs rapports avec elle. Ils sont là pour comprendre et / ou expliquer ce qu’elle est et ce qu’elle fait, et le cas échéant pour l’absoudre de ses pêchés. Difficile ainsi de ne pas voir en Idris Elba une sorte de double de fiction d’Aaron Sorkin, intègre et intelligent mais borderline in love de Molly Bloom.


L’autre partie pris intéressant du film, c’est qu’il n’adapte pas vraiment l'autobiographie dont il porte pourtant le titre, préférant en faire l’un des pivots de l’intrigue. Le film ne se borne ainsi pas au fait divers peuplé de célébrités qui a fait les choux gras de la presse people, il en raconte aussi les coulisses et les à-côtés. Toujours cette histoire de part d'ombre.


En fait, le principal défaut de Molly’s Game, c’est peut-être d’être mis en scène par Sorkin lui-même. Un film verbeux avec des acteurs au débit mitraillette exige un solide projet de mise en scène, une réalisation intense ou a minima quelques scènes coup de poing.
Malheureusement, Le Grand Jeu n'offre rien de tout ça. Les qualités de metteur en scène d'Aaron Sorkin, certes tout à fait honorables, n'arrivent pas à la cheville de son génie de scénariste et du coup, on a parfois l’impression de regarder The Infiltrator ou Barry Seal, soit d'honnêtes biopics portés par une pointure à la réalisation convenue qui les empêche d'accéder au carré VIP d'Hollywood. Un peu comme si on vous offrait une montre Baume et Mercier avec le bracelet d’une Swatch.

Mogadishow
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le 3 janv. 2018

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