Mine de rien, j'ai vu un paquet de Hong Sang-Soo depuis qu'il est apparu sur le top 2018 des Cahiers. Comme quoi, ce genre de classement a des vertus (bon, ce n'est pas le classement d'un débilos sur youtube non plus).


Le Jour d'après se conforme au modèle d'à peu près tous les films de Soo que je connaisse, c'est-à-dire une mise en scène fondée sur des plans fixes avec des zooms se substituant aux champs/contrechamps, des personnages issus d'un milieu social artistique légèrement hors du temps, des conversations qui durent assez longtemps pour que l'indicible émerge et un montage qui fait confiance à l'intelligence du spectateur.


Je ferai sûrement une énumération différente si l'on me redemande dans une heure de lister ce qui fait l'essence de son cinéma, mais je pense que cet ensemble constitue un dénominateur commun pas trop réducteur. Donc dans ce film, Soo, comme dans ses autres long-métrages, apporte de petites variations à son style si particulier pour enrichir son œuvre d'une histoire à la fois nouvelle et analogue à ce qu'il a déjà pu filmer. Et Le Jour d'après est un excellent cru (j'ai pas encore rencontré de mauvais cru de sa part, mais certains sont moins marquants, je pense à la Caméra de Claire avec Huppert).


Le montage à la sauce Soo est ici particulièrement réussi, j'entends par là sa propension à ne rien expliquer, à projeter le spectateur dans une situation dont il ne connaît rien et à le laisser construire sa compréhension de la situation par l'agencement, sans transition, de scènes non-chronologiques. Si je voulais faire le malin - et je ne suis pas innocent de cette ambition -, je parlerais de cinéma asyndétique. Dans le Jour d'après c'est merveilleusement bien fait, la lâcheté banale du personnage principal se déplie subtilement à mesure que les scènes superficiellement indépendantes s'adjoignent. Et tout cela se fait d'une manière complètement dénuée de mécanismes dramatiques de "révélations", tout est minutieux, la logique interne du film se déploie par des petites phrases, des silences, des petits zooms et des couples de plans. Cette minutie participe à ne jamais perdre l'empathie vers le personnage principal. Sa détresse est toujours sérieusement traitée, malgré l'évidence grandissante de sa lâcheté. Cet équilibre est vraiment réjouissant.


Soo est aussi très fort dans l'orchestration de ses dialogues. Il s'appuie évidemment sur la puissance évocatrice de son procédé, le plan fixe et les zooms, à la fois discret et assez singulier pour systématiquement aiguiser notre attention, mais aussi sur une forme de trop-plein de pudeur. Il joue avec une forme d'obséquiosité gonflée artificiellement, qui lui permet d'emprunter une voie légèrement en deçà du langage courant. Les personnages sont quelque peu empêchés, leur maladresse et leur réticence à s'épancher sont intensifiées. Paradoxalement, cela permet de rendre les longs plans fixes de dialogue plus dynamiques, ils sont entrecoupés de silence et de petits moments d'attentes du spectateur, très légers et locaux, attendant que les personnages si timorés lâchent certains mots. Notre attention est ainsi éveillée, on est prêt à chercher et identifier les petites variations, les petits décalages, les petites gênes qui sont distillés dans ces plans fixes. C'est aussi pour ça que le cinéma de Soo fonctionne si bien malgré son apparente sècheresse : il nous prédispose à voir activement les séquences, à fouiller, à repérer et, in fine, à les interpréter. C'est son tour de force, à chaque fois ça marche, surtout lorsque sa muse, Kim Min-hee, vient éclater tout ça avec son tempérament débordant.


Le seul truc que je reprocherais au Jour d'après, enfin c'est un bien grand mot, le seul truc que j'utiliserais à sa décharge s'il fallait que je hiérarchise les films que j'ai vus du réalisateur, c'est son noir et blanc, même s'il est très maîtrisé et rend l'image vraiment belle. Je m'explique : l'image de Soo me semble habituellement avoir deux caractéristiques (parmi d'autres) auxquelles je suis assez attaché. La première, c'est une tendance à tirer la couleur vers des teintes pastel, ou à choisir des lieux qui mettent en avant ce type de teintes. Je fais peut-être fausse route, mais ça participe selon moi à accentuer la dimension petit village paisible qu'il donne à ses lieux de tournage, renforçant ensuite la narration autour d'une classe sociale d'artistes un peu hors du temps. Avec du noir et blanc, on perd cela, et en effet, les lieux du film ne m'ont pas inspiré la même sérénité que ses autres films. C'est peut-être accessoire, peut-être même un peu trop fétichiste pour que ça ait avoir avec le cinéma, mais ça fait partie des plaisirs purement esthétiques que j'ai en visionnant ses films. La deuxième caractéristique, c'est l'aspect "pris sur le vif" de son cinéma. Ses plans fixes sont habituellement très intéressants, c'est certain, mais l'image et la photographie sont toujours très épurées, on ressent que le tournage a été rapide, que les acteurs ne sont pas dans des rôles de composition, que leur représentation est proche de leur tempérament. C'est la vitesse et la simplicité du dispositif qui permet cette sensation. Avec ce très joli noir et blanc, l'aspect "pris sur le vif" est un peu émoussé, on perçoit plus de travail puisque l'image est étonnamment belle. C'est pas tapageur hein, mais c'est moins "brut" qu'avec une captation en couleurs peu travaillée.

Bretzville
8
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le 12 mai 2020

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Bretzville

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