Mars 2010:


Revoyure intrigante pour moi car elle fait émerger des sentiments ou des sensations différents du précédent visionnage qui date de plus de 5 ans. D'un point de vue général, je dirais que l'enthousiasme est moins intense. J'adorais ce film, le "classais" (quel vilain mot pour un film!) parmi mes favoris de Tavernier. Je persiste à voir dans cette confrontation de deux malades mentaux un duo magnifique d'acteurs, Noiret et Galabru, ce dernier dont la filmographie ménage forcément une pétaradante surprise qui explique sans nul doute son césar du meilleur acteur. Je crois cependant que ces précédents visionnages restaient marqués par cette étonnante prestation, si haut en couleur, si inaccoûtumée qu'elle parait dépasser aisément l'entendement et prend des accents d'exploit. Si je la trouve aujourd'hui très maitrisée, voire riche par moments, difficile et pourtant réussie j'ai du mal à y voir un prodige, un miracle d'acteur. Peut-être que d'autres performances dramatiques, je pense à celle d'Uranus par exemple, sont venues débarrasser notre vision du comédien Galabru de ses oripeaux de saltimbanque courant le cachet comme migraineux après aspirine, de besogneux capable du pire, oubliant le meilleur. Maintenant que l'on sait ce dont il est capable, l'incarnation de cet illuminé ne parait plus aussi folle, mais juste aussi bonne qu'elle devait l'être.

Désormais moins aveuglé par cette participation sans doute ai-je été plus à même d'apprécier le travail visuel apporté par l'immense chef-opérateur Pierre-William Glenn que ce soit lors des extérieurs qui magnifient les reliefs ardéchois notamment, ou bien encore dans les intérieurs clairs-obscurs. Le superbe parti-pris très chromatique donne au film une teinte particulière, savoureuse que le cinémascope rend encore plus prégnante. Ces dispositions esthétiques m'avaient échappé ou du moins n'avaient pas été lues telles qu'elles le méritent, me semble-t-il.

De même la performance d'Isabelle Huppert est en tout point bluffante. Si jeune, et déjà si parfaite, d'une justesse incroyable. Jean-Claude Brialy par contre me semble accentuer un peu trop sur ses intonations. Ce qui colle idéalement au personnage de Galabru sonne parfois faux dans la bouche de celui, si calme, de Brialy. Mais là, j'avoue que je tatillonne avec effronterie.

Venons-en plutôt à l'axe central du film : la lamentable hypocrisie qui sépare le fou, le tueur en série, qui se cache derrière l'anarchie, la lutte des classes, la souffrance physique ou le mysticisme afin d'excuser et de légitimer son incapacité à réfreiner ses instincts mortifères et puis, le juge, le notable, le bourgeois qui malmène la justice et le droit, sans l'ombre d'une hésitation ni le moindre scrupule, qui manipule son coupable désigné, qui va jusqu'à violer celle qu'il entretient, un lache qui fuit ses peurs, de la maladie, de la mort, de l'autre en général, infoutu de se déssaisir du jupon maternel. Aussi enrage-t-il et fait payer au vagabond le fait que lui ne se retient pas. Galabru est le monstre que Noiret cache difficilement au tréfond de lui-même.

Le scénario d'Aurenche, Bost et Tavernier montre bien la confusion qui règne dès lors qu'on s'attache à définir la folie, à expliquer le crime. Qui est le plus fou, le plus criminel? Surtout, il pose la question suivante : comment fait-on pour juger de la part de folie dans un crime?
Alligator
8
Écrit par

Créée

le 6 avr. 2013

Critique lue 2.2K fois

20 j'aime

2 commentaires

Alligator

Écrit par

Critique lue 2.2K fois

20
2

D'autres avis sur Le Juge et l'Assassin

Le Juge et l'Assassin
Moizi
8

La lutte des classes

La force du Juge et l'assassin, c'est son ambigüité morale, car la figure monstrueuse de l'assassin violant, sodomisant, découpant et égorgeant des petits enfants est montré dès l'ouverture du film...

le 28 mars 2021

37 j'aime

8

Le Juge et l'Assassin
-Marc-
5

Vive la sociale!

Bertrand Tavernier est un brillant réalisateur. Il fait de Joseph Vacher l'éventreur, Joseph Bouvier victime de la société et chantre de la révolte sociale. Les chansons de l'époque sont nombreuses...

le 4 juin 2014

27 j'aime

Le Juge et l'Assassin
ManouNyu
7

La société engendre des criminels

Film sur la fin du 19ème, fortement empreint de l’affaire Dreyfus et de ses conséquences, Le juge et l’assassin est, au-delà d’une œuvre idéologiquement très tranchée, également une très belle...

le 13 juil. 2014

26 j'aime

16

Du même critique

The Handmaid's Tale : La Servante écarlate
Alligator
5

Critique de The Handmaid's Tale : La Servante écarlate par Alligator

Très excité par le sujet et intrigué par le succès aux Emmy Awards, j’avais hâte de découvrir cette série. Malheureusement, je suis très déçu par la mise en scène et par la scénarisation. Assez...

le 22 nov. 2017

53 j'aime

16

Holy Motors
Alligator
3

Critique de Holy Motors par Alligator

août 2012: "Holly motors fuck!", ai-je envie de dire en sortant de la salle. Curieux : quand j'en suis sorti j'ai trouvé la rue dans la pénombre, sans un seul lampadaire réconfortant, un peu comme...

le 20 avr. 2013

53 j'aime

16

Sharp Objects
Alligator
9

Critique de Sharp Objects par Alligator

En règle générale, les œuvres se nourrissant ou bâtissant toute leur démonstration sur le pathos, l’enlisement, la plainte gémissante des protagonistes me les brisent menues. Il faut un sacré talent...

le 4 sept. 2018

50 j'aime