Nous en sortons à l'instant : visuellement éblouissant, une immersion sonore totale, une mise en scène inventive sur un rythme soutenu et un scénario à tiroirs plutôt bien foutu, qui vous fait vous demander, à l'issue d'une traque sans répit et sur la surprise du plan final, qui tirait les ficelles, qui jouait double jeu, qui sont les opportunistes, à l'image en toile de fond du fonctionnement d'une certaine faune sociale dans la Chine actuelle, pressurée, répressive et ultra-surveillée. Les vélos ont été remplacés par des motos et les flics dansent le madison-disco avec des semelles lumineuses. Depuis la dernière décennie, le genre du polar noir se revivifie de manière heureuse à deux sources vives : l'Espagne et la Chine. Si le polar noir espagnol est baigné d'un soleil crépusculaire âpre et sanguin, le polar noir chinois est, lui, battu d'"une pluie sans fin", nocturne, erratique, poisseux, d'une texture d'obscurité tenace et de néons roses, ultra violent, à ce point créatif dans la violence qu'il en déclenche l'hilarité, comme lors de cette scène du parapluie anti-projection de sang. Diao Yinan orchestre la traque d'un jeune gangster beau comme un Delon qui aurait croisé Bruce Lee. Règlement de comptes entre gangs pour s'attribuer un secteur géographique d'activité, vengeance et le beau Zenong qui tue un flic par erreur. Voilà toute la police et les gangs rivaux à ses trousses. Dans sa fuite, il rencontre Aiai, une "baigneuse", prostituée du lac des oies, zone de non-droit, qui semble vouloir l'aider. Belle liane au long cou, aux cheveux courts, qui fume la cigarette de manière cinégénique et porte un petit pull fushia qui m'a rappelé celui, inoubliable, de Nastassja Kinski dans "Paris, Texas". Les parallèles constants entre les ruses des gangsters et les stratégies et descentes des policiers rappellent la traque la plus célèbre du cinéma dans "M. Le Maudit". Diao Yinan déplace les codes du polar noir américain dans un univers à la fois sensuel, trouble et chorégraphié qui n'est pas sans rappeler parfois le cinéma somptueux de Wong-Kar-Waï. Une signature baroque et ambitieuse, toute de jeux d'ombres et de lumières, de plans sophistiqués qui servent le propos. Un film qui fait bien cogiter à la fin.