Long métrage qui a révélé au grand public un dénommé Dustin Hoffman, Le lauréat reste, cinquante ans tout juste après sa sortie, un incontournable du cinéma étasunien des années 60. Réalisé par le débutant Mike Nichols, qui avait fait ses premières armes l'année précédente en tant que metteur en scène en signant l'adaptation de la pièce de théâtre Qui a peur de Virginia Woolf? avec le couple mythique Elizabeth Taylor / Richard Burton, le film sorti fin décembre 1967 récolta autant de critiques positives qu'il fut un succès massif auprès du public. Satire de l'american way of life des classes moyennes de la côte Ouest, Le Lauréat marque encore les esprits de nos jours par sa capacité à décrire avec justesse et acidité cet instant transitionnel de l'histoire des Etats-Unis.


Adaptation du roman éponyme de Charles Webb publié quatre années plus tôt, Le Lauréat s'inscrit dans une époque où les studios hollywoodiens connaissent une crise majeure depuis la fin de la décennie précédente (concurrence de la télévision, fin de l'Âge d'or, baisse de la fréquentation des salles). Distribué aux Etats-Unis par le studio indépendant Embassy Pictures, le deuxième film de Mike Nichols marque ainsi une rupture avec ceux produits par les grands studios, à l'instar du Bonny and Clyde d'Arthur Penn sorti quelques mois plus tôt à l'été 1967. Réalisés par deux cinéastes incarnant une nouvelle génération d'auteurs, ce que l'on nommera le Nouvel Hollywood, ces deux longs métrages brisent les derniers tabous cinématographiques étasuniens, ceux liés à la violence et au sexe. Tandis que nombre de longs métrages tournés par les studios au cours de la décennie 60 se caractérisaient par un classicisme décadent, le sexe y occupait le centre des récits de manière biaisée, la sexualité présentée et abordée restant sous la coupe d'un conservatisme pervers ou hypocrite, Le Lauréat en contant la relation sexuelle entre une femme mariée et un jeune homme fait autant preuve de modernité qu'il remet frontalement en cause par une astucieuse mise en abyme le vieil Hollywood asphyxié.


Comique dans sa forme, de la maladresse du jeune Benjamin Braddock aux jeux de séduction de Mme Robinson, Le Lauréat s'en détache sur le fond par sa critique subversive de la classe moyenne américaine. Portait instantané d'une jeunesse dorée tenaillée entre les valeurs de leurs aînés et le rejet du puritanisme, ce récit d'apprentissage fait dès lors échos aux changements à venir dans la société WASP des années 60, de la libéralisation des mœurs naissantes aux futures contestations étudiantes (Elaine est à juste titre inscrite à Berkeley, haut lieu de l'activisme estudiantin pour la liberté d'expression avant les manifestations contre la guerre du Vietnam). En rébellion passive (Nichols multiplie les images d'enfermement) envers les traditions familiales avant son affranchissement en découvrant l'amour auprès d'Elaine Robinson, Benjamin doit lutter contre les adultes qui n'acceptent pas ou ne comprennent pas son désir de liberté. Le long métrage distille ainsi à mesure un profond parfum d'amertume tirant sa source des erreurs de la génération précédente, et incarné par Mme Robinson, qui dévoile davantage une nature pathétique qu'un véritable tempérament de pré-cougar. Mariée à un homme qu'elle n'aime pas, suite à une grossesse non désirée, cette épouse délaissée est devenue de son propre aveu alcoolique pour supporter cet échec.


Cinquante ans après sa sortie, Le Lauréat garde un charme et une acuité intacte, quitta à surprendre encore à l'image de sa fin ouverte et son absence d'happy end.


http://www.therockyhorrorcriticshow.com/2017/07/le-laureat-graduate-mike-nichols-1967.html

Claire-Magenta
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le 2 nov. 2017

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Claire Magenta

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