L’anecdote est aussi célèbre que le film : après l’éreintante réalisation de Cléopâtre, qui le mena à une fatigue extrême et une profonde dépression, Joseph Mankiewicz énonça le souhait de “réaliser un film de 5 minutes, avec 2 comédiens dans une cabine téléphonique”. Dix ans plus tard, et en ajoutant quelques 130 minutes et un gigantesque manoir, le compte est bon avec Le Limier.


Dès le départ, Mankiewicz donne le ton : un générique composé de miniatures, qui évoquent le théâtre, sous la musique ironique de John Addison (qui s’ouvre comme un péplum avant d’évoquer les comédies de la Ealing). Tout le film y est condensé, avec l’idée du théâtre, de la mise en scène macabre, de l’accumulation de couches pour raconter une histoire… Si on y ajoute le jardin labyrinthique et l’immense importance accordée aux pantins et autres poupées tout du long du film, ce n’est plus un défilé de symboles, c’est un catalogue. Et Mankiewicz étant, de loin, l’un des cinéastes les plus raffinés du XXe siècle, autant dire qu’on finit par se prendre au jeu et à se laisser manipuler avec une certaine délectation. D’autant que Mankiewicz n’oublie jamais qu’il réalise un film avant tout pour un public, et n’hésite pas à le manipuler lui aussi autant que ses personnages - car pourquoi se priver quand on peut s’amuser ?


Exemple-type avec le générique qui énonce 6 comédiens… alors qu’il n’y en aura que deux, et dont 3 noms sont des fusions de noms de personnages des précédents films de Mankiewicz !


Qui plus est, au-delà du brillant exercice de style, où Mankiewicz s’amuse à reprendre à son compte un ton cynique so british (on pense constamment aux films de la Ealing ou aux romans d’Agatha Christie), le film est mené tambour battant par deux comédiens (anglais, tiens tiens) magistraux, la vieille garde et la relève, dont le plaisir évident qu’ils ont à jouer ensemble (au propre comme au figuré) devient source de plaisir spectatoriel. Laurence Olivier et Michael Caine se cherchent, se toisent, se provoquent, s’admirent, comédiens comme personnages, et leur lutte psychologique devient rapidement une joute enivrante.


Certes, il y a quelques petits coups de mou, des séquences un peu trop fantasques (le délire autour des costumes) mais la dynamique du film, toute en accélération constante, finit par faire oublier le tout et ne fait garder que l’essentiel : le Limier est à la fois un exercice de style incroyable, un numéro d’acteurs délicieux et un scénario qui regorge de degrés de lecture. On appelle ça un chef-d’oeuvre, je crois.

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le 29 juin 2020

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