Alors que se déroulait le rideau de fin devant mes yeux, et que je commençais à réfléchir au possible axe de critique que je comptais écrire, une petite voix s'est mise à parler dans ma tête, une petite voix bien sympa (apparemment elle habite pas très loin de chez moi, ce qui est pratique pour des discussions improvisées ou boire un café) qui a soulevé un sujet bien important : est-ce que cette oeuvre est un film ou une pièce de théâtre. Tout candide que je suis je lui répondis que bien évidemment c'était un film, mais en y regardant de plus près, il est vrai que la question est légitime.

Car bien que le produit final soit évidemment un film projeté dans une salle de cinéma (ou ici, en l'occurrence, sur mon écran d'ordinateur, mais ne sortons pas du sujet), il n'en reste pas moins que Sleuth (je met le titre original parce qu'en le prononçant, ça me fait marrer (promis j'essaye de me soigner)) est une adaptation de pièce de théâtre qui emprunte énormément à son matériau d'origine. En ce sens où je pense que Mankiewicz, pour son dernier film, a peut-être réalisé la parfaite adaptation théâtrale qui puisse exister (bon il y a aussi 12 hommes en colère, mais vous voyez où je veux en venir).

Les emprunts faits au théâtre sont nombreux : les levers et baisser de rideaux au début et à la fin du film, le passage des miniatures à l'action réelle, le huis clos évidemment, les décors, tellement enrichis, tellement faux, mais tellement crédible à la fois, le duo d'acteur sur lequel repose le film, et bien entendu (et surtout) l'écriture. Point d'action ni quelconque bagarre, ici ce sont des joutes verbales qui s'opposent les unes après les autres. Entre ces deux hommes de classes sociales très différentes, se succèdes des saillies, parfois drôle, souvent ironique, avec un sens second à lire entre les lignes. Les dialogues ont beau être de qualité ça ne fait pas tout. En témoignent les malheureuses premières minutes qui sont bien trop bavardes pour ne pas dire grand chose. Si le film était raccourci et le propos amené plus rapidement, peut-être aurait-on eu un immense chef d'oeuvre. Bon je pinaille, mais je sais bien que ces premières minutes étaient nécessaires pour poser les lieux, les personnages et enfin l'intrigue. Dans cet ordre. Ceci s'appelle une scène d'exposition. Le théâtre refait surface.

Mais il y a malgré la qualité d'écriture, l'histoire très théâtrale (j'y reviendrai), quelque chose qui amène ses galons d'oeuvre du 7e art à Sleuth. La mise en scène de Mankiewicz. C'est tout bonnement et tout simplement génial. Il a bien compris que la patience, dans un huis clos, était la clé. Il prend le temps de poser sa caméra où il le souhaite, nous pond quelques plans d'une grande qualité de composition et dirige ses acteurs à merveilles. Michael Caine et Laurence Olivier, deux monstres sacrés du cinéma britanniques face à face, au top de leur forme (comment oublier la première partie du film entièrement acquise à Olivier et le dernier plan sur le sourire de Caine avec cette ulitme réplique ?!). Deux acteurs pratiquant énormément le théâtre également, ce qui se ressent à l'écran. Mankiewicz les dirige de deux manières différentes, préférant l'interprétation très théâtrale (grandes envolées lyriques, on hausse la voix pour parler etc...) dans la première partie, pour revenir à un jeu plus subtil dans la deuxième partie, plus cinématographe oserai-je dire.
Et au-delà du fait de maîtriser ses éléments, Mankiewicz utilise le temps de réfléxion qui lui est offert par le huis clos pour amener quelque chose au montage. Quelque chose qui rend ce(s) jeu(x) dérangeants, quelque chose qui permet de faire ressortir cette névrose qui se dégage, tour à tour, des deux personnages. A plusieurs reprises, et ce au milieu parfois d'une réplique, une image presque subliminale d'un élément du décor du manoir surgit. Cela ne dure que quelques dixième de secondes, mais ça suffit pour se rendre compte d'une chose : deux interprétations sont possible, soit le montage est utilisé pour illustrer le sentiment des personnages (je pense à l'alternance rapide des plans en fin de film) soit il est là pour tout autre chose : souligner un procédé qui m'a sauté aux yeux à la fin du film. La mise en abîme de la pièce de théâtre.

Car c'est limpide, c'est clair. Le passage des miniature à l'action réelle prend tout son sens si l'on pense à ça. Le film est une mise en abîme, clairement le sujet s'y prête énormément aussi. Les "jeux" auxquels se livrent les deux personnages sont des mises en scènes et le personnage d'Andrew Wyke ca dans ce sens aussi, lui l'auteur de roman policier à succès. Tout est fait pour nous plonger dans une sorte de film dans le film, sauf qu'ici, on a plus l'impression d'avoir une pièce de théâtre sous les yeux. Et le montage, qui alterne de temps à autre sur les poupées, ou les éléments de décors, nous indique que ces objets fait de plastique ou de cire, ne sont rie d'autres que des spectateurs, regardant la (les) pièce(s) se dérouler devant eux. Et nous spectateur du film on regarde un film mettant en scène plusieurs mini pièces de théâtres. C'est grandiose.

Film ou pièce de théâtre peu m'importe, Sleuth est un chef d'oeuvre. Pas loin d'être une oeuvre parfaite, le début me semblant encore trop hors propos. Mais une chose est certaine, quand on sait manier les outils cinématographiques, pour te pondre un film comme celui là ou deux arts se rencontrent constamment, on a plus rien à apprendre du cinéma. Mankiewicz était grand, et son chant du cygne est magistral.
Strangelove
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Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Maîtriser la Force, c'est bien. Mais il faut aussi que je me souvienne des films que j'aurai vus en 2014.

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le 2 déc. 2014

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Strangelove

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