Si seulement il avait eu des patins...

(Le locataire, Roman Polanski, drame, 1976)


    Je tiens à préciser que cette critique est sponsorisée par M6 et Plaza immobilier. Ici pas de « home-staging », pas de net vendeur, pas encore de loi Carrez (1996) et surtout PAS de fête des voisins, bien au contraire. 

Ici, nous sommes dans une adaptation d'une nouvelle de Roland Topor : « Le locataire chimérique » (1964). Cette transposition à l'écran (1976) est l'oeuvre de (attention, sortez les pares-balles) ROMAN POLANSKI. 3 ème volet de la non-officielle « trilogie de l'appartement », il s'agit aussi de son premier film français, suite à ses déboires judiciaires aux USA qui l'ont poussé à quitter Hollywood. Un immeuble parisien a priori sans histoire, va devenir le théâtre de la dérive mentale d'un jeune homme sans histoire également. Trelkovsky (Roman Polanski), simple employé de bureau se présente à la porte de la concierge (Sheyley Winters) et demande à visiter le studio laissé libre, après la tentative de suicide de la précédente locataire. Pas difficile, il accepte et insiste auprès du propriétaire (Melvyn Douglas) pour l'obtenir. Nécessité faisant loi, se loger à Paris n'est pas une question qui se pose uniquement en 2020.
Très vite, la situation devient invivable. Au moindre bruit, les cloisons, les parquets et le plafond encaissent les chocs réprobateurs du voisinage. La pendaison de crémaillère est interrompue par un voisin (Claude Pieplu), et le lendemain Trelkovsky présente ses excuses au propriétaire déjà prêt à « prendre des mesures ». La situation empire frénétiquement, et le jeune garçon glisse vers la paranoïa, persuadé que ses voisins veulent le pousser au suicide, comme la précédente locataire, qui ne répondait pas non plus à leurs exigences de quiétude et de calme. Petit à petit, ce petit Polonais devient quelqu'un d'autre. Il devient la précédente locataire, même physiquement. Son esprit isolé se perd et Polanski le montre à l'écran avec cette séquence montrant des escaliers impossibles, emmêlés, ne menant nulle part. C'est une projection du cerveau de notre héros qui ne peut plus sortir de cette spirale.
Alors nous, spectateurs, étions depuis le début en capacité de nous identifier au personnage, puisqu'il était une argile malléable: on sait peu de choses sur lui, il est discret, ne dévoile pas grand-chose, mais petit à petit notre vision de lui évolue.
Face à sa descente, nous nous désolidarisons de lui et on ne peut pas dissimuler notre malaise. Devons-nous nous dire qu'il est fou ou est-ce qu'il est victime d'un complot ? Jusqu'à quel point pouvons-nous le défendre ? Tout cela interroge notre rapport à la vérité : vaut-il mieux suivre l'avis de la majorité ou se mettre du côté des Cassandre avec tout ce que cela implique.
Je suis assez conscient que ces dernières lignes peuvent rappeler toute la polémique autour de « J'accuse », son dernier film (2019). S'identifie t-il à Dreyfus ? Dans sa situation, il n'y a pas de bonne réponse, finalement. Mais évidemment qu'il parle de lui comme dans « Le locataire » ou « Le pianiste » etc. Evidemment, qu'on ne peut pas séparer l'artiste de l'oeuvre. Quand on étudie une œuvre, c'est un livre et une biographie. Ici, c'est pareil.
Sans être auteur, mais rien qu'en faisant sa liste de courses on ne sépare pas non plus. Dans cette liste, il y a ce dont vous avez besoin, ce dont vous avez envie. Vos désirs sont transcrits dans la liste de course. La liste dit quelque chose de vous. Pourquoi est-ce que cela serait différent pour les artistes ? Cependant, faut-il culpabiliser ceux qui regardent et apprécient ses films (« Tu finances un pédophile», « Par ce geste tu valides le fait de violer des enfants »)? Non, parce que c'est la liberté de chacun d'apprécier une œuvre, et jamais dans ses films, Polanski ne fait l'apologie de ce pour quoi il a été condamné, ce n'est pas Matzneff non plus. Car oui, n'oublions pas qu'il a été condamné pour sa faute, et qu'ensuite, il s'agit de l'histoire d'un juge qui a voulu revenir sur son jugement. Polanski a payé dans cette affaire. D'autres histoires sont sorties, vraies ou non, on ne sait pas, car non jugées. Cependant, le fait d'affirmer quelque chose dans l'espace public n'est pas gage de vérité.
Aussi, comment des gens aussi éclairés peuvent à ce point tomber des nues quand ils découvrent qu'il y a une justice pour les riches, les privilégiés et les autres ? Maintenant cela est de la responsabilité des Etats de faire respecter la loi et de pacifier la société.
Il est évident, que les #Metoo, #BalanceTonPorc ont eu un impact positif sur la libération de la parole sur des actes intolérables et c'est remarquable, mais attention ce n'est pas à la rue de faire justice. Ca appartient à un autre temps de clouer au pilori en place publique. Prétendument évolués, éclairés, nous nous choquons toujours en imaginant que le peuple se réunissait et se délectait à assister à des exécutions publiques. Pourtant là, symboliquement, sur twitter, nous faisons la même chose. Nous savons depuis « La psychologie des foules » de Gustave Le Bon, que la masse perd tout sens commun quand elle s'excite. Il faut bien le dire, il n'y a pas que l'air que nous respirons qui est vicié, il y a l'air du temps aussi.
Toutes ces affaires posent aussi la question de la responsabilité. Choisit-on d'être fou, pédophile, violeur choisissons nous d'être hétéro/homo/asexué ? Non, pas nécessairement. Notre postulat, est basé sur la pensée judéo-chrétienne du libre-arbitre, parce que cela est plus commode : « vivez en faisant le bien et vous aurez le bien après votre mort, faites le mal vous irez en enfer ». Chercher à comprendre pourquoi untel va dans cette voie et pas dans une autre, n'est pas chercher à justifier, mais bien apporter des éléments de réponse, parce que le présent découle du passé et que nous subissons bien plus que nous ne choisissons et que l'être humain est en perpétuelle lutte contre lui-même et son destin.


    Bref, parlons cinéma (de toute façon, en tant que mâle blanc, ma parole est de fait disqualifiée, donc autant revenir à l'essentiel) ce film adapté de l'oeuvre de Roland Topor, retranscrit parfaitement l'esprit inquiétant, bizarre, mais parfois drôle de l'auteur, couplé aux marottes du réalisateur (la paranoïa, la persécution etc). Aussi, vous retrouverez dans ce film plusieurs visages du Splendid qui obtiennent leurs premiers rôles au cinéma (**Balasko**, **Jugnot**, **Blanc**). N'ayez pas honte de regarder et d'apprécier ce film exceptionnel. Cela vaut au moins 9/10. Maintenant, Messieurs les gendarmes vous pouvez procéder à mon arrestation pour complicité.
Sarrus-Jr
9
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le 26 mars 2020

Critique lue 160 fois

Sarrus Jr.

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