(Non, ce titre n'est pas un hommage au grand Marcelo...)


Polanski semble s'être dirigé vers la folie naturellement tout au long de son oeuvre. A tel point que l'on peut se demander s'il n'avait pas un peu de Trelkovsky en lui, ce qui expliquerait bien des choses, et prouverait encore une fois que le franco-polonais a réussi à tirer le meilleur de ses expériences personnelles d'un point de vue cinématographique. Le Locataire se pose comme le troisième et ultime volet d'un triptyque débuté en 1965 avec Répulsion puis prolongé en 1968 avec Rosemary's Baby.


(Critique pleine de spoilers)


Trelkovsky (brillamment interprété par le cinéaste en personne) est un homme plutôt faiblard et réservé, un type sans histoire et qui ne cherche pas à en avoir. Dès les premières secondes, le décor est posé. Profondément terne et sans saveur, réellement glauque et peu attirant, il se présente sous la forme d'un immeuble gris, vétuste qui sera le théâtre du lynchage à venir. Appartement gris, immeuble grisâtre et Paris dans la grisaille.
Polanski uniformise son décor, ne laisse rien au hasard, et recrée un univers morne proche notamment du décor parisien du Samouraï de Melville. Sauf qu'ici point de flics, de Delon et son gros melon à l'horizon, rien que l'ami Trelkovsky qui fait la rencontre de Monsieur Zy. Polanski malgré un cadre réaliste froid et glacé ne néglige pas l'étrange à l'aide d'un générique perturbant et d'une mystérieuse défenestration. Comme toujours dans son univers, la frontière entre le réel et le surnaturel s'avère très fine, quasiment indicible. Mais Le Locataire ne s'inscrit pas dans une logique horrifique, mais plutôt dans une tonalité tragi-comique. Trelkovsky décide de rendre une petite visite à la précédente locataire en piteux état à l'hôpital,Simone Choule. Scène cruciale dans la logique du récit, le Mal et la folie sont extériorisés par un cri terrifiant, et ce n'est qu'un avant-goût. Il y rencontre une jeune femme, Stella qui va enclencher son processus de socialisation, Trelkovsky découvre les joies des soirées parisiennes, mais surtout il déclenche la mécanique qui le conduira à sa perte. En tentant d'égayer ses tristes soirées dans son triste immeuble, il déclenche les foudres de ses voisins, qui trouvent en la matière une raison justifiée de s'en prendre à lui. Mais peu importe pour eux que cela soit justifié ou pas, tout est bon pour s'opposer au pauvre Trelkovsky. Ses moindres faits et gestes sont guettés, ses relations décortiquées, et son appartement est la cible de somnambules figés dans le marbre des toilettes. Ce qui était étrange devient suspect, ce qui était inquiétant devient terrifiant, Trelkovsky perd le contrôle, et le peu de moyens qu'il avait.


Polanski s'amuse à distiller plein d’éléments (les cigarettes, le café) qui accentueront le moment venu la paranoïa de son Trelkovsky. Ce qui revient encore et toujours chez Polanski, c'est cet isolement et cet aliénation du personnage central de Mia Farrow dans Rosemary's Baby à Harrison Ford dans Frantic en passant par Deneuve dans Répulsion, tous sont isolés, harcelés et démunis face aux persécutions de leur voisins, unis dans le vice et la cruauté. Polanski fait naître la folie de choses tout à fait banales mais qui superposées tendent à faire croire que Trelkovsky perd la raison, ou que ce sont eux qui le persuadent qu'il la perd. Dans les deux cas, il n'a aucun contrôle sur sa vie, aucun moyen de se défendre.


Son seul refuge est l'appartement de Stella qu'il considère comme une amie ou peut-être plus, on ne saura jamais. Cependant, tout indique qu'il se réfugie dans un amour maternel plus que sexuel, ce qui rend leur relation très ambiguë. La folie le guette, la paranoïa s'empare de lui, il voit des Monsieur Zy partout, et on a cette sensation que tout se retourne contre lui, que tous complotent contre lui comme dans nos pires cauchemars. Le dernier tiers amorce une gradation vers les sommets de la folie. Trelkovsky a en fait la sensation d'être manipulé comme la précédente locataire et perd totalement la face, son identité avec. Il devient littéralement Simone Choule, comme s'il reniait sa part de Trelkovsky, sa part de "virilité" pour se substituer à une femme, précisément la précédente victime ici. La progression du film est parallèle à l'évolution psychologique de Trelkovsky, qui progressivement se rend, et se place comme une victime, dans une position de faiblesse. Symboliquement, les objets de son appartement deviennent plus gros que lui, il n'est plus qu'une infime tâche à effacer dans cet immeuble de fous. Déformation du réel, trouble identitaire et sexuel, paranoïa démesurée et délires visuels composent la déchéance de Trelkovsky. Polanski met l'ensemble en images de manière hallucinante, avec des images mémorables et d'un puissant symbolisme, tout en façonnant un univers qui semble s'échapper, comme si tout devenait étranger à son héros, comme s'il s'enfermait dans une bulle. Il arrive à créer une fascination morbide dans un final cruel et ridicule, le cinéaste accentue le décalage en ne positionnant plus son Trelkovsky comme une victime, mais comme un pauvre fou à interner. Il se donne en spectacle, se ridiculise de manière théâtrale et excessive dans un final où Trelkovsky se vide littéralement devant ses voisins (faussement ?) ébahis. Car ce final remet en question notre perception de l'ensemble, l'appartement était-il hanté ? Trelkovsky est-il fou ? Ses voisins sont-ils vraiment des vieux pervers assoiffés de sang ? Difficile d'y voir clair, mais peu importe pour Polanski, il porte son art au firmament de la folie, du fantastique et de l'étrange. Rarement un film d'appartement n'aura été si ambigu, si fou, si troublant, si cruel. Le Locataire est incontestablement une pièce maîtresse du huis-clos, une oeuvre à la construction magistrale qui se complète, jointe par les deux bouts tel un cercle vicieux se renfermant sur son impuissante victime.


En filmant la réclusion d'un homme emprisonné dans sa forteresse de solitude et de folie, Polanski au sommet de son art, livrait son oeuvre définitive, la conclusion d'un des triptyques les plus terrifiants jamais réalisés. Loin de l'onirisme de Lynch, Polanski filme la folie du réel, celle qui naît de la solitude et du rejet social. Le Locataire est la synthèse parfaite de l'oeuvre du cinéaste, une déchéance physique et psychologique hallucinante qui imprègne de sa folie et son audace chaque parcelle de la pellicule, avant de laisser son spectateur pantois dans les abîmes de la folie et les tréfonds de la mort. Portrait psychologique d'un détraqué, analyse sociologique d'un solitaire renfermé, peinture d'un monde décrépi et morose, Le Locataire est bel et bien un film complètement loco.


Mon Polanski préféré.


Ma liste consacrée à ce grand cinéaste : http://www.senscritique.com/liste/Roman_Polanski_a_la_folie/828620

SpaceTiger7
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le 2 juil. 2015

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