Boîte crânienne à louer
Trelkovsky humble employé de bureau Parisien se met à la recherche d'un appartement dans un immeuble tranquille où il pourrait profiter de sa toute nouvelle naturalisation. Trelkovsky est un être...
le 12 mai 2015
86 j'aime
7
Un homme, type ordinaire à l'air hagard, avance inexorablement vers son suicide. Le visage feutré, le cheveu fin et l'oeil tiré par le sommeil il déambule, inquiet, dans un Paris guindé, hostile et oppressant. C'est l'étranger au nouveau monde, consciencieux et appliqué, trop présent à sa petite personne mais comme en quête d'un refuge. Un foyer. Une demeure. Autour de lui le bruit, un voisinage sceptique, procédurier, tribunal de son quotidien, de son intimité, de sa vie. L'homme, sur la réserve, s'affaire aux nouvelles tâches d'un immeuble endeuillé dans le dehors mais grimé dans le dedans. Comme sorties d'un songe malaisant ou d'une torpeur insurmontable les fenêtres ricanent au nez de trompette du quidam professionnel ; de leurs grimaces monolithiques elles jugent, persécutent puis poussent à bout : hors la lucarne.
Polanski n'est pas encore Frantic en cette année 1976... Mais déjà le chaos mental, les zones troubles de la psyché et les délires en tous genres sont les symptômes d'un Paris fort peu accueillant, inextricable, kafkaïen presque. Le cinéaste concentre toutes ses obsessions et tous ses fantasmes en un personnage-titre ( Le Locataire ) qu'il choisit logiquement d'interpréter lui-même. A lui seul Roman Polanski livre un casting exemplaire, entouré de comédiens typiques et parfois débutants à l'époque ( Blanc, Bouteille, Jugnot et Balasko pour le côté café-théâtre ; la belle et insolente Isabelle Adjani - pas encore tout à fait possédée par un autre grand polonais - pour le côté glamour ) jouant progressivement sur le mode du glissement, du dérapage. Du passage à l'acte.
Tout - ou presque - dans Le Locataire est sous l'augure de l'ambiguïté : un homme simple, fonctionnaire, utile et cherchant à l'être ou à le devenir - et comme en servage à l'encontre du voisinage qu'il dérange inexplicablement - se montre finalement déséquilibré, provocateur, travesti et paranoïaque... l'éventuelle vierge folle d'une galaxie chaotique, cauchemardesque, fantasmée ; un immeuble, toute en verticalité et farouches occupants, en intérieurs sombres et déprimants se change tout à trac en un carnaval grotesque, aux invités vulgaires et bruyants ( Bernard Fresson, excellent ) jusqu'à devenir l'estrade du suicide héroïque ; une intrigue enchaînant avec une régularité étrangement imparfaite les scènes d'intérieurs ( les bureaux, l'hôpital, les cafés et bien entendu l'horrible appartement de l'outsider ) et d'extérieurs ( rues en plein trafic, quais de seine désertiques et cour d'immeuble accusatrice ) ; la figure du double enfin, ou plutôt du dédoublement, symbolisée par la suicidée à laquelle Trekovsky ( alias Polanski ) rend visite au début du film...
Mais c'est surtout - du plan inaugural filmé à la Luma sous l'emprise de l'improbable et lugubre bossa nova de Philippe Sarde à l'ultime plongée buccale clôturant le cauchemar - l'impression d'une fatalité écrasante, terrible et implacable qui se dégage de ce qui constitue à ce jour le meilleur film de Roman Polanski. L'impression inconfortable et littéralement freudienne d'un "Moi plus vraiment maître en sa propre demeure"... Un chef d'oeuvre.
Créée
le 14 avr. 2021
Critique lue 137 fois
1 j'aime
D'autres avis sur Le Locataire
Trelkovsky humble employé de bureau Parisien se met à la recherche d'un appartement dans un immeuble tranquille où il pourrait profiter de sa toute nouvelle naturalisation. Trelkovsky est un être...
le 12 mai 2015
86 j'aime
7
Dans la veine de Répulsion et de Rosemary's baby parce que le rapport maladif à l'Autre épouse les traits du délire paranoïaque et paranoïde.Mais attention j'ai toujours refusé d'imputer tous les...
Par
le 16 août 2011
43 j'aime
4
Le frêle Trelkovsky recherche un appartement et n'est pas très difficile : son choix va se porter sur un appartement assez laid, démuni de toilettes (plus loin dans le couloir, étudiant-style) et...
Par
le 24 juil. 2010
32 j'aime
Du même critique
Précédé de sa réputation de grand classique du western américain La Prisonnière du désert m'a pourtant quasiment laissé de marbre voire pas mal agacé sur la longueur. Vanté par la critique et les...
Par
le 21 août 2016
42 j'aime
9
Immense sentiment de paradoxe face à cet étrange objet médiatique prenant la forme d'un documentaire pullulant d'intervenants aux intentions et aux discours plus ou moins douteux et/ou fumeux... Sur...
Par
le 14 nov. 2020
38 j'aime
55
Nice ou l'enfer du jeu de l'amour-propre et du narcissisme... Bedos troque ses bons mots tout en surface pour un cynisme inédit et totalement écoeurrant, livrant avec cette Mascarade son meilleur...
Par
le 4 nov. 2022
26 j'aime
5