Dire que j'attendais impatiemment le dernier film de Martin Scorsese ne serait qu'un doux euphémisme. Pour certains, Noël c'est l'occasion de se retrouver en famille, s'échanger des cadeaux, passer de bons moments. Pour ma part ce Noël cuvée 2013 c'était se retrouver en famille, s'échanger des cadeaux, passer de bons moments et la sortie du Loup de Wall Street. Je l'attendais presque autant que le Père Noël celui-là. Après un Hugo Cabret très sympa mais un peu faiblard dans la filmographie du maître, j'espérais voir la nouvelle oeuvre majeure de Scorsese, celle qui entrera dans la postérité. Autant dire d'emblée que c'est très bien parti.



Car à 70 ans passés, Martin Scorsese en a toujours dans le pantalon et signe ici un des films les plus fous et ambitieux de sa carrière. Celui-ci est basé sur les mémoires de Jordan Belfort, ancien trader à Wall Street ayant mené une vie de débauche, brassé des millions de dollars et ayant trempé dans diverses magouilles en tout genre. Plus qu'une critique du monde de la finance, Marty nous offre une véritable plongée dans un monde totalement dégénéré où l'argent et la folie règnent en maître.

Ma première grosse surprise vient du fait que le film est très drôle. Aimant cette forme d'humour noir et cynique, j'avoue avoir pris un pied terrible pendant les 3 heures de ce film qu'on ne voit absolument pas passer. Car Scorsese a un sens du rythme inégalable et que son oeuvre est tellement généreuse et énergique qu'il n'y a aucune place pour l'ennui. Rien n'est laissé au hasard et chaque séquence est à sa place, a son sens, est là pour faire progresser cet univers et ces personnages décadents.

Là où le film brille c'est dans sa volonté de ne pas juger ce qui se passe à l'écran, de ne pas juger ses personnages et ses spectateurs. Marty envoie la sauce, ça baise, ça se défonce, ça part toujours très loin et pourtant il me paraît difficile de ne pas ressentir une certaine forme de fascination envers ce monde et les personnages qui l'animent. Et c'est paradoxal car ces excès sont écoeurants, les protagonistes sont lamentables mais ils réussissent, ils arrivent à leurs fins et empochent des quantités phénoménales d'argent. Et pour créer un univers aussi envoûtant que dérangeant, il faut être très fort.



J'ai adoré l'introduction de ce monde complètement fou avec l'arrivée d'un DiCaprio, jeune courtier idéaliste, face à une bande de dégénérés qui s'insultent et hurlent sans cesse. Et là on voit Matthew McConaughey, le mec qui a connu une carrière quelconque avant de véritablement exploser ces dernières années (et pour voir un très grand rôle de sa part, je vous tourne de nouveau vers Killer Joe, la grosse baffe sortie l'an dernier). Et la scène du restaurant entre DiCaprio et McConaughey est en passe de venir culte et mythique. J'ai rarement autant ri au cinéma, cette situation incroyablement absurde est juste hilarante. A l'image d'un film qui ne baisse jamais le pied et semble se renouveler sans cesse malgré des séquences qui peuvent sentir le déjà-vu.

Techniquement, le film est fabuleux, audacieux. La mise en scène est d'une classe et d'une énergie folles. Les effets utilisés lorsque les personnages sont sous l'emprise de la drogue sont juste incroyables, rarement on aura senti un tel malaise. La scène où Jordan se traîne jusqu'à sa voiture est un sommet de noirceur, le personnage est humilié, se traîne comme une loque et tu sens plus que jamais l'effet de ce qu'il a ingurgité. On n'a pas vu ça depuis Las Vegas Parano.

En termes d'interprétation, DiCaprio offre une performance que je trouve particulièrement hallucinante. Allez allons même plus loin, je pense que c'est la meilleure performance qu'il ait pu livrer jusqu'à présent. Ca fait plaisir de le voir se lâcher totalement, d'en faire presque des tonnes mais de toujours rester dans la mesure et dans la maîtrise. C'est quelque chose de dingue, et tout le reste du casting est à la hauteur de cette prestation. Jonah Hill est incroyable également, aussi drôle et pathétique qu'inquiétant.
A noter aussi l'apparition d'un Kyle Chandler en agent du FBI intègre, qui nous offre également une sacrée séquence sur le yacht. Rien n'est à jeter à ce niveau, rien. Même Jean Doujardine campe un rôle intéressant et dans le ton du film. Quant à la jeune Margot Robbie, elle assure. Aussi sexy que Sharon Stone dans Casino, et tout aussi excellente.



Le Loup de Wall Street peut paraître comme étant une sorte de "suite" des Affranchis et de Casino. La structure scénaristique et les thématiques ne sont pas étrangères, il y a dans ces 3 films l'histoire de montées en puissance, de jeux de pouvoir et de déchéances. Pour autant, le dernier bébé de Scorsese est loin d'être un copié-collé de ses deux autres films cultes. Celui-ci est davantage une comédie noire. Et malgré cet aspect comique et absurde très prononcé, le film demeure très profond. Car plus qu'une critique du capitalisme, Marty dresse un constat amer de l'humanité. Il ne vient pas nous faire la morale, il vient juste titiller la nôtre. Car cette débauche qui nous est offerte pendant 3 heures est tout aussi repoussante qu'attirante, on ne sait même plus sur quel pied danser?

La séquence finale va dans ce sens. Et sans vouloir spoiler, on voit que la crapule riche peut toujours trouver une porte de sortie. Que l'Amérique continue et continuera toujours de faire vivre ses démons, voire même de les encourager à se développer de nouveau. Cela sonne comme un terrible cycle sans fin. Le film a beau être hilarant, il est dans le fond vraiment noir et pessimiste.

Je pourrais encore en parler des heures de ce film, car il explore des thématiques intéressantes avec brio, car il n'a pas froid aux yeux, car il n'en finit plus d'être épatant. D'ailleurs l'Académie des Oscars a réservé un accueil houleux au film lors de sa projection avec insultes envers Scorsese à la clé. Forcément, dès qu'on ne va pas dans leur sens de la masturbation et que l'on met du cul et que l'on dresse un portrait peu flatteur de l'Amérique dans un film, ça leur fait mal. Les puritains hypocrites dans toute leur splendeur.

Mais après tout, qu'en a-t-on à faire de cette Académie qui récompense les films consensuels et sans prises de risque? Martin Scorsese signe un film abouti, complètement fou mais très maîtrisé. Un pur plaisir de cinéma, réfléchi et fait avec fougue et passion. Ne boudons pas notre plaisir car il s'agit d'un grand film, d'une oeuvre majeure. Et en plus on entend du Plastic Bertrand dedans.
Moorhuhn
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le 28 déc. 2013

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Moorhuhn

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