What the effin' fuckin' fuck you fuckin' mothafucka cocksucker
Je milite pour des films courts, des idées simples. C'est mon engagement à vie. Il y en a qui se battent contre la finance, contre le capitalisme; moi contre les films de plus de deux heures. En fait, si ce Loup de Wall Street n'avait duré qu'une heure quarante, je l'aurais sans doute vu dès sa sortie, peut-être même en avant-première, et j'aurais écrit un mot dessus immédiatement, qui ne serait pas tombé dans l'oubli comme tombera celui-ci, écrit sur le tard, après que tout senscritique est passé par là.
Mais je suis content d'avoir attendu. Déjà parce que je peux revendiquer de ne pas avoir trois heures à perdre si facilement, et que ça me donne presque l'impression d'avoir une vie sociale bien remplie. Ensuite parce qu'un certain recul était sans doute nécessaire au visionnage du dernier Scorsese, et pas des moindres: une année s'est écoulée en une semaine, et le film appartient déjà au passé. Je peux donc chausser mes gros sabots, exprimer un certain scepticisme, et taxer tous ceux qui ne seraient pas en accord avec moi de passéistes. Le calendrier joue en ma faveur.
Car je ne suis pas totalement convaincu par Le Loup de Wall Street. Il y a cette longueur, tout d'abord, cette nécessité de porter des histoires parfois simples sur un axe temporel artificiel pour justifier presque instantanément de leur sérieux, et aussi de l'argent qui y a été investis. Scorsese à le mérite d'y aller jusqu'au bout, et l'orgie est totale: oui, Le Loup de Wall Street est un film gargantuesque, aussi long que spectaculaire. La mise en scène, à la fois classique et moderne, lisible et survoltée, est comme une tour de Babel aussi fragile qu'éblouissante, érigée de main de maître tout au long de la bobine. Mais aux étages parfois tristement vide.
Prenez donc une information simple. Jordan Belfort est un trader camé, un connard parvenu. Faites de cette information le seul enjeu de trois heures de fêtes, de digressions et de démonstrations de force. Une fois intégrée, que reste-t-il donc du Loup de Wall Street? Une réflexion sur le mal humain, sur le capitalisme, sur la noirceur et le cynisme du rêve américain et de ses self made man? Un peu de tout ça, façon auberge espagnole, tout le monde ramène son manger, et tout le monde couche en consanguin. Une petite levrette ici entre amoralité et capitalisme (facile), vient l'amazone entre drogues, putes et violences domestiques (facile, level 2), l'inévitable golden shower, le vilain trader pisse sur une assignation du FBI en hurlant "Fuck USA" (facile, level 3), avant qu'enfin, Jordan n'éjacule au visage de tous ces Américains qui se rêvent eux aussi riches, méchants, drogués et amoraux (facile, level 10 000). Tandis que derrière un rideau, dans l'encadrement d'une fenêtre, Scorsese filme le tout avec une virtuosité indiscutable, mais un sens de l'emphase parfois légèrement disproportionné. Voici venu 15 minutes de Leonardo DiCaprio rampant sur le sol du country club du coin après un mauvais trip aux drogues dures. Dommage, ce n'était drôle que la première minute. Et tiens, 32 minutes de discours sur comment-mon-entreprise-elle-a-changé-la-vie-des-gens-que-du-coup-je-ne-peux-pas-la-quitter. Dommage, même la première minute n'était pas affolante cette fois-ci, et histoire de pousser mémé dans les orties, ça ne fait pas avancer une seconde le schmilblick.
A un certain moment, j'ai oublié quand exactement, peut-être à 1h12 ou à 2h24, Naomi, vénère comme Héra, balance à Jordan en sus d'un verre d'eau: "Stop flexing your muscles!" Mise-en-abîme. Serait-il possible qu'ici, Martin Scorsese mette le doigt sur la propre vacuité de son procédé d'allongement perpétuel? Le Loup de Wall Street n'en perd pas forcément son potentiel de fascination, en ce qu'un film tout à la fois aussi insaisissable et fortement appuyé reste malgré tout un certain tour de force. Mais se vêtir des oripeaux du mal contemporain tout en refusant de prendre parti, n'est-ce pas plus hypocrite que simplement paradoxal? Peu importe peut-être, puisque Leonardo DiCaprio mettra tout le monde d'accord, comme absolument tout le reste du casting.
Sauf Jean Dujardin. Que quelqu'un l'arrête. Merci.