Un sacré choc cinématographique en cette fin d'année 2013 ! Le Loup de Wall Street s'agit d'un biopic complètement délirant, du portrait d'une jeune tête brûlée incarnée par l'impressionnant Leonardo DiCaprio et d'une plongée vertigineuse dans un univers mêlé de sexe, de drogues et d'argent facile, le tout méticuleusement reconstitué par le grand Martin Scorsese. Cinquième film issu du partenariat Scorsese-DiCaprio Le Loup de Wall Street est une oeuvre particulièrement noire dans la filmographie de Marty, un film privilégiant certes la surenchère à la modestie de ses effets mais tout à fait pertinente quant à cette réalité : il fallait effectivement une bonne dose de glamour et de billets verts pour dresser le portrait terrifiant de Jordan Belfort, jeune loup cynique obsédé par le fric et possédé par la défonce... Faux-film hollywoodien et vrai film de gangsters à peine déguisé Le Loup de Wall Street est l'une des toutes meilleures productions de son réalisateur, excessive jusqu'au délire et choquante jusqu'au dégoût.
Narré sur le mode astucieux de la voix off Le Loup de Wall Street est un Scorsese pur jus : on pense d'emblée à une variante moderne de Goodfellas dans la présentation de Jordan Belfort et dans l'articulation du récit, et puis dans cette manière de traiter les cas de conscience crapuleux, dans cette façon de jouer la carte du grotesque et de la vulgarité au détour de répliques composées pour la plupart de "fuck" et de "cocksucker"... Mais là où Goodfellas parvenait presque à amuser au travers du personnage joué par Jo Pesci ( formidable en mafieux caractériel ) Le Loup de Wall Street dérange bien davantage, principalement parce qu'il tient place dans un univers a priori blanc comme neige, ou du moins licite et encouragé par le système américain : celui du trading boursier. En ce sens la scène entre DiCaprio et Matthew MacConaughey au début du film équivaut presque à un dépucelage du personnage de Jordan, qui ne cessera par la suite d'augmenter son capital cynisme et sa consommation de sexe et de drogue en toute impunité... jusqu'au point de non-retour !
Abrupte et décadent le dernier Scorsese est d'une générosité de cinéma indiscutable qui, sous ses aspects clinquants, permet à Leonardo DiCaprio de nous livrer un incroyable rôle de composition rappelant parfois la mégalomanie d'un Howard Hugues ou la flamboyance d'un Jim Carroll ( le junkie de Basketball Diaries ) : ses tics de jeu, son charisme et le tranchant de son débit tiennent du prodige ! A ses côtés l'étonnant Jonah Hill interprète un personnage pratiquement détestable d'acolyte cocaïné et calculateur ; il s'avère excellent, tout comme l'ensemble du casting dirigé par l'habituelle Ellen Lewis.
La peinture délirante, grotesque même de ce concert de rails de coke et d'innombrables dollars s'affiche tel un signal d'alarme en parfait raccord avec son époque. En bon film scorsesien Le Loup de Wall Street assène implacablement sa morale désespérante à travers la chute de son antihéros, à la fois sympathique et détestable : il faut y voir une virulente critique du rêve américain, aussi bien dans la triste finitude de son protagoniste que dans cette imagerie saturée, nauséeuse presque, de tapages luxurieux. Un très grand film.