S'asservir à l'Amérique bien-pensante

Le Majordome de Lee Daniels n’est pas un cas isolé. Dernièrement, les cinéastes américains replongent dans leur Histoire pour mettre en avant les grands moments qui ont fait des Etats-Unis une terre de liberté et de démocratie. Ressasser le passé comme pour mieux montrer le manque de risques politiques des derniers Présidents américains dont Obama se montre l’héritier par son deuxième mandat. Une Histoire qui ne peut se détacher de la question de la population noire : une communauté en quête de liberté, puis d’égalité. Ainsi après le givré Django Unchained de Tarantino et l’abolitionniste Lincoln de Spielberg, Lee Daniels continue la mise en image de l’émancipation du peuple noir. Le Majordome qui suit la vie de Cecil Gaines de 1926 à 2008 s’inscrit également dans la volonté de faire de l’Histoire une affaire personnelle et de mettre en avant les petits gens qui sans le savoir auraient marqué leur époque et permis un avancement. Quoi de mieux pour le public américain que de suivre les aventures d’un « nègre de maison » sous la direction de 7 Présidents américains, de Eisenhower à Reagan ?

Il faut dire que les américains sont bien-pensants, moralisateurs, mais surtout aveugles. Ils semblent se lamenter sur les conséquences d’un racisme qui bien que devenu illégal sévit encore brutalement. Le Majordome vogue sur cette rédemption nationale regroupant à son bord la crème de la star afro-américaine : Lenny Kravitz, Mariah Carey, Forest Withaker, et surtout la Reine Oprah Winfrey ; auxquels s’ajoute une pléiade de noms comme Jane Fonda ou Robin Williams. L’énorme casting tient la route, mais semble se presser devant la caméra à des fins caritatives. Avoir son nom au générique, c’est affirmer l’adage pourtant logique : « le racisme, c’est mal ». Ajoutez à cela le fait que Monsieur Obama soutient le film pour en faire un atout politique d’un pays où le noir gagne, malheureusement qu’au cinéma.

Il est toujours navrant de voir des histoires extraordinaires, comme celle de Cecil Gaynes, devenir de mauvais film. Avec Le Majordome, Lee Daniels ne dispose pas seulement d’une biographie rocambolesque au plus proche du pouvoir, mais d’une réelle réflexion sur l’engagement. Si le cinéaste tente de choquer par une scène d’ouverture faiblarde, le véritable commencement intellectuel du film se situe lorsque Cecil Gaynes rencontre un « nègre de maison » qui lui donne la clé de la réussite des Noirs au sein d’une société gangrenée par le proche passé esclavagiste. L’homme noir doit avoir deux visages, l’un pour l’homme blanc et un autre pour sa communauté. Cette dualité devient palpable entre les parcours simultanés de Cecil et de son fils, Louis. Pour ce dernier, son père n’est autre que le maillon encore visible de la puissance dominante de l’homme blanc. Il n’est qu’un vulgaire laquais. A l’inverse, ce n’est que la délinquance et le danger que voit Cecil Gaynes dans la passion libertaire de son fils.

Le Majordome s’est finalement l’ascension sociale d’un noir qui gagne à fréquenter les blancs qui se voit à travers l’évolution de l’intérieur cosy des Gaines dans lequel déambule sa femme (Oprah Winfrey) perdue au milieu du conflit familiale. Une aisance que refuse le fils et qui amène donc la dualité à son paroxysme. Mais c’est pourtant les mêmes finalités qui unit les deux hommes, faire de l’homme noir l’égale de l’homme blanc chaque à son échelle. Louis Gaynes s’inscrit dans un macrocosme prônant un changement radical et rapide quitte à tomber dans des groupuscules violents. Tandis que son père cherche une égalité au sein du microcosme qu’est la Maison-Blanche avec la question de salaires des employés noirs. C’est la figure tutélaire de Martin Luther King qui réhabilite d’ailleurs la place du domestique noir dans la lutte pour les droits civiques. Discutant avec Louis dans un motel, il fait du nègre de maison « l’agent le plus subversif de l’intégration des noirs ». Le Majordome est un être de confiance, de discipline et de politesse. C’est par cette image rassurante que passe également l’insertion des noirs dans la société américaine.

La faiblesse du Majordome tient d’ailleurs d’une volonté de rassurer le public américain. Il faut dire que Lee Daniels doit faire oublier l’indigente farce sexo-vulgaire Paperboy. Sans aucun risque ni dans la mise en scène ni dans le scénario, le film n’est qu’une fade œuvre académique taillée pour les Oscars. Pour garder une étiquette « tout public », Lee Daniels détruit les scènes qui auraient pu amener au film la profondeur qui lui manque. Jamais l’horreur, pourtant palpable, n’est montrée. L’apport historique est aseptisé pour répondre à l’ironique non-violence du cinéma américain. Lee Daniels avait entre les mains une histoire fascinante au sein de la Maison-Blanche – dont le nom sonne comme un ultime coup raciste – avec des scènes qui auraient pu être haletantes (l’entrainement des étudiants noirs pour résister à l’oppression, l’attaque du bus …). Mais à trop chercher à sauvegarder le public en favorisant l’ellipse ou le montage alterné, il affadie son propos. Le Majordome devient alors un ultime biopic lacrymal emplie de bons sentiments dont les ressorts sont mal exploités. Il suffit de voir l’image des différents Présidents qui défilent pour comprendre que le véritable problème du cinéma américain est qu’il manque de profondeur et tombe rapidement dans le cliché psychologique. Il en ressort un manichéisme enfantin.

Faire pleurer Obama et réunir des « stars » n’est pas gage de succès. A trop vouloir plaire au plus grand nombre, c’est dans la masse justement que Lee Daniels coule. Le Majordome est un biopic fade qui passe à côté du principal : la beauté de son histoire.
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le 12 sept. 2013

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