Voilà un film qui ne partait pas gagnant. J'ai détesté à un point difficilement imaginable The Paperboy et je trouve que ce réalisateur se complaît dans une trashitude de pacotille extrêmement laide et pauvre imaginativement.

Cela étant dit, ce film s'annonçait comme un grand mélo historique américain classique à la Spielberg, avec une dose de revendication pour la cause afro-américaine bien souvent absente du cinéma de tonton Steven, donc je fis taire mes préjugés pour voir le film dont tout le monde parlait pour les Oscars à venir.

Alors oui, le mot Oscar - ou l'expression Academy Award si vous y allez comme moi en VO - clignote pendant les 2/3 du film. Tu le vois mon gros Oscar pour Forest Whitaker ? Tu le sens bien mon gros Oscar pour Oprah Winfrey ? Et caetera, et caetera. Rétablissons d'ores et déjà la vérité : Whitaker n'est pas géant ou transcendé dans ce rôle, il fait ce qu'ila toujours (bien,certes) fait : avoir une tronche pas possible à moitié démolie et encaisser tout le film. C'était quand même vachement mieux dans le Dernier roi d'Ecosse. En revanche, pour Oprah j'avoue avoir été impressionné par sa présence. Et le mot est crucial,car c’est ce dont ce film manque cruellement, de présence, de chair, d'incarnation.

Soit presque 2h15 épouvantablement longues où on se tape TOUTE l'histoire des noirs américains à travers le prisme "réaliste" d'une destinée bigger than life. Grossière erreur. C'est terriblement didactique et n'importe quel spectateur connaît déjà la moitié de ce qu'il va voir - aux USA c'est pire je pense. Certaines séquences sont réussies (l'attaque du Bus de la liberté par exemple) et le film a le courage de faire frontalement face aux pires pages de l'histoire américaine contemporaine (KKK and co). Mais c'est globalement très attendu et parfois horriblement maladroit. En témoignent la scène d'ouverture dans les champs dont je ne sais toujours pas trop quoi penser et le pathos dégoulinant du reste du film. En témoigne aussi la vision caricaturale de l'engagement politique ou rebelle de la communauté, trop simplement réduit aux "good blacks" vs "bad blacks" des Black Panthers, mouvement autrement plus complexe que ce que le film montre.

Deux gros défauts donc, le premier et le plus gênant pour moi étant le pathos enflant à mesure que le film avance. Protégé par la sécurité de son "true story" -ah! l’ultime lâcheté du cinéma contemporain - le scénario empile les crasses qui arrivent à ce type et sa famille. Soit le mec qui a eu un début de vie atroce mais qui après devient juste un porte-manteau ambulant qui encaisse sans broncher pendant que son fils manque de crever 20 fois sous les coups des blancs, que sa femme le trompe et sombre dans l'alcoolisme. Au mieux c'est misérabiliste, au pire c’est juste très très con. La musique, omniprésente et assez vilaine, n'aide pas, pas plus que le filmage assez grossier et la photo jaunie. Le film est de ce point de vue d'un académisme autant inattendu venant du cinéaste que finalement aussi inintéressant que ce qu'il a pu proposer auparavant.

Deuxième défaut, la relative bêtise idéologique du film. OK c’est bien t'es black et tu fais un film sur l'histoire tourmentée de ton ethnie d'origine, pas de problème. Sauf que ça c'est déjà beaucoup fait et beaucoup mieux fait. Un journaliste soulevait le problème Spielberg qui ne sait pas filmer les noirs. Je n'ai pas vu ses deux seuls films black (mais je pense que la Couleur pourpre c'est d'un autre niveau que ça, ne serait-ce qu'en termes de mise en scène), mais c'est vrai que son cinéma est exempt de personnages black à l'exception de ces deux films là. Pourtant, Lincoln aborde avec beaucoup de justesse la question de la liberté de ce peuple, et le film est une leçon de classicisme américain (et non d'académisme) assez majestueuse. De l'autre côté du cinéma, Tarantino livrait en début d'année sa version jubilatoire, enragée et révisionniste de l'histoire des noirs dans un geste de cinéma mille fois plus intéressant que le film qui nous intéresse à présent. Surtout que Lee Daniels, ne sachant visiblement quoi dire ou quoi faire, se contente réellement de faire s'enchaîner les séquences reposant sur un moment clé de l'histoire de son peuple et de les envisager via son personnage principal. Donc on se tape chronologiquement l'esclavage, le travail comme larbin dans les hôtels, la persécution, les premiers actes des militants, la mort de Kennedy, de Martin Luther King, and so on and on and on. On baille qu'on en peut plus, surtout que le film ressemble à un musée de cire. Le défilé d'acteurs célèbres pour incarner les présidents et leurs épouses a un caractère bizarrement mortifère, ils sont juste des poupées creuses et absolument rien d'incarné ou de vivant. Idem pour les stars habituelles de Lee Daniels, la mère Carey et le père Kravitz, que je n'avais même pas reconnus. Il aurait fallu un souffle lyrique, une audace, montrer plus souvent l'histoire directement en s'y confrontant, en filmant la mort de untel ou de untel et pas juste en montrant le brave majordome devant la télé ou dans la rue, apprenant la nouvelle en faisait la seule expression que son visage semble permettre : l'hébétude.

C'est donc un livre d'images totalement figées, où Whitaker déambule hagard et où son personnage met le temps record de 60 ans (!) à finalement se rendre compte que oui, les blacks sont bel et bien considérés comme des sous hommes par les blancs et que non, ce n'est pas normal. Ridicules séquences finales de réconciliation sur le tard avec le fils devenu politicien, pathos scandaleusement dégoulinant de la mort d'Oprah, tout en prothèse et surjeu de la vieillesse. On essaie tellement de nous faire pleurer que curieusement, ça m'a tout coupé. Alors que je suis du genre à pleurer devant une pierre s'il le faut. Bref, derrière l'académisme et le didactisme forcené du film se cachent quelques morceaux de bravoure, le talent inattendu d'Oprah et un film au final regardable sans trop de déconvenues pour un spectateur qui aime le confort de ce genre de cinéma américain, plus que calibré pour les Oscars.

Un film mineur, au sens fort du terme.
Krokodebil
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le 29 sept. 2013

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Krokodebil

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