Le Majordome, c'est le symptôme ultime de tous les débordements possibles du cinéma américain quand il vous affirme, du haut de son sérieux papal, que ce qu'il vous met sous le nez est "inspiré de faits réels". On s'attendrait donc normalement, au vu du sujet, à être plongé dans l'intimité de la Maison Blanche et de ses rouages, de ses tractations, dessinant la politique nationale et mondiale, vue par les yeux d'une petite main anonyme, témoin muet de la marche du monde moderne guidée par huit présidents. Les atermoiements aussi, les moments de doute, les décisions, la personnalité de chaque homme d'état.


Mais Lee Daniels, visiblement, il n'en a pas grand chose à foutre, de ce sujet en or. Ce qui le branche, apparemment, c'est de sonder son nombril et celui de sa communauté. Quelle est l'utilité de casquer, sans doute à grand frais, les droits d'adaptation de l'article d'un journal US (d'une série d'entretiens avec Eugene Allen, plus précisément, le "vrai majordome") si c'est pour ne pas l'adapter, me direz-vous ?


C'est que Lee Daniels, il semble nourrir bien d'autres aspirations. Celle de toucher au message universel, de porter haut le combat de gauche contre la discrimination et, au passage, de dire à quel point le peuple noir a souffert. C'est certainement louable. Mais alors, pourquoi s'emparer d'une histoire soi-disant vraie pour ainsi en dénaturer le sens et en travestir les enseignements ? Tout simplement pour permettre au réalisateur de s'appuyer sur cette "réalité" et s'en servir comme d'un marchepied, prenant le prétexte de cette vie pour transformer Le Majordome, non pas en fresque historique sur les dessous du pouvoir américain ou en constat porté sur une époque pas si lointaine, mais en un manifeste lourdingue, dépeignant une communauté noire qui ne s'affirmerait que dans les souffrances du passé.


Lee Daniels transforme donc son Majordome en un film scolaire et tristement académique, en forme de cours d'histoire pour les nuls tout simplement assommant, qui se contente de juxtaposer quelques épisodes les plus connus de cette sombre période. Tout cela afin d'illustrer mollement la lutte pour les droits civiques, entamée par des gens différents asservis et humiliés par la White America. Si cette aspiration est tout à fait louable, il est dommage que Daniels ne propose rien de neuf, aucune surprise, encore moins un quelconque point de vue autre que le "nous avons beaucoup souffert" sur ce qu'il filme. Reste seulement une ou deux bonnes idées, comme la scène, montée en parallèle, où Gaines sert les blancs, alors que son fils et ses amis se font tabasser dans un café. C'est maigre. Les différents présidents, eux, ne feront que passer, tels des ombres, dans une Histoire qu'ils marquent pourtant de leur empreinte. Et on sent que les comédiens ne sont là que pour encaisser leur chèque, s'acheter une bonne conscience (politique) à peu de frais, ou encore se ridiculiser (Johnson constipé réclamant du jus de pruneaux pendant qu'il est aux gogues, vraiment ?).


On est ainsi à des années lumières de ce que le film pouvait proposer s'il n'avait pas été pris à bras le corps par un réalisateur totalement anonyme ne se rêvant qu'en porte étendard de la souffrance endurée par sa communauté. Il aurait été en effet bien plus judicieux, à mon sens, de se concentrer sur la formation de Cecil Gaines, sur les ficelles agitées par son mentor, ses conseils, cette manière de se coucher devant les blancs pour combler leurs désirs sans pour autant se mettre en avant. Daniels aurait pu poser la question, bien moins simpliste que ce qu'il livre, de la compromission ou de la résilience de son majordome. Voire celle de la subversion de son attitude, comme il est proclamé le temps d'une ligne de dialogue pour une fois habité et éclairé. Tout cela n'est que survolé, malheureusement, le temps d'une petite dizaine de minutes, sans pour autant sonder les contradictions du personnage-titre, réduit à un quasi imbécile heureux, puis à un éternel stoïque.


Mais là ne réside pourtant pas le pire des pêchés de Lee Daniels puisque celui-ci n'hésite pas à tordre son sujet et à en fantasmer la quasi intégralité. Embarrassant pour un film pourtant estampillé "inspiré de faits réels". Surtout quand on imbrique dans la grande histoire du mélo familial larmoyant, simpliste et déjà vu, ou encore des conflits neuneus inventés de toutes pièces, prétexte à surligner bien maladroitement et de manière caricaturale les différents épisodes et affrontements "raciaux" mis en avant pour servir, finalement, le discours simpliste de son réalisateur et son drame familial calibré comme P.O.U. (Performances à Oscariser d'Urgence), traversé de personnages pour lesquels on peine à s'intéresser.


Le Majordome a l'ambition de s'envisager comme un film militant. Il ne représente pourtant le peuple noir que dans une victimisation souvent complaisante. Il n'est pas anodin de constater que jamais, Lee Daniels ne représente sa communauté en situation d'accomplissement, ou de victoire sur l'adversité, éludant l'espoir incarné par Martin Luther King ou encore les actions de Malcolm X. Car il ne faut pas se leurrer, l'accession de Barack Obama à la présidence des Etats-Unis, dépeinte avec une certaine béatitude naïve dans le dernier quart d'heure, n'est pas un aboutissement, mais seulement la signature, pour son réalisateur, d'une position et d'un soutien politique.


Le fils de Cecil Gaines, à l'occasion d'une discussion familiale houleuse, dénigre Sidney Poitier en disant que celui-ci ne joue que dans des films acceptables aux yeux des blancs. Inconscient ou non, ce constat, comme échappé d'un lapsus dans le discours de Daniels, pourrait sans doute être repris pour qualifier son Majordome, film pseudo militant bien propre sur lui, en forme d'oeuvre à Oscar politiquement correcte qui, d'après la légende, aurait fait pleurer Obama lors de sa première projection. La légende reste cependant silencieuse sur la raison de ces larmes. Sans doute le Président se disait-il qu'un sujet aussi nécessaire méritait mieux...


Behind_" ♫ Noir c'est noir.. Il n'est jamais trop tard... ♪ the_Mask.

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le 16 juil. 2016

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