Tout le cœur et le sens de Le Mans 66 semblent contenus dans cette très belle scène qui initie le dernier mouvement du film : Au crépuscule, Ken Miles et son fils sont assis sur le tartan et observe la courbe d’un virage, « là-bas, c’est le tour parfait, est ce que tu le vois ? », « oui je le crois » répond son fils, « très peu de personne peuvent le voir » conclut Ken. C’est la croyance des hommes en leurs obsessions et en leurs passions qui permet à chacun de se réaliser pleinement en tant qu’être et de répondre à cette question qui hante l’esprit de Carroll Shelby : Qui est-on ? Car, avant d’être un film de sport automobile, Le Mans 66 est une œuvre sur la passion déraisonnée des hommes pour les sensations, celles qui nous font sentir en vie.
Ainsi Shelby et Miles sont de beaux personnages de cinéma dans le sens où ils incarnent à eux deux la difficulté de s’accomplir au sein d’une société où le simple fait de vouloir vivre de sa passion est vu comme une preuve de lâcheté. En effet, tous les personnages qui gravitent autour d’eux, coincés – au sens littéral comme au sens figuré- dans leurs costumes sont pervertis par la représentation et non l’incarnation. Gagner au Mans est pour Ford le moyen de battre un rival tout en entrant son nom dans l’Histoire, au côté de celui de son grand-père. Miles et Shelby eux sont obsédés par la performance pure, où faire vrombir un moteur confine à l’orgasme (les fameux 7000 tours/min, une forme de transcendance pour Miles et Shelby « nous devenons un corps qui traverse l’espace et le temps »). Ils incarnent donc toute la raison - et la déraison – innocente du sport automobile.
Pureté est d’ailleurs un mot employé par Beebe -détestable à souhait- pour décrire Miles. Celle-ci se traduit par le plaisir enfantin (il chante des comptines pour enfant, parle à sa voiture) qu’il prend à piloter un bolide surpuissant. En ce sens, c’est un véritable artiste de la route : il est artisan (mécanicien d’origine, c’est lui qui apporte les améliorations décisives à la voiture) et aussi l’accomplissant de son œuvre (il pilote comme un dieu). La moue que lui apporte Christian Bale -toujours sur un fil- cette espèce de grimace qu’il abhorre en permanence concrétise l’innocence d’un homme tourner uniquement vers sa passion de la course.
Miles, héros déçu et en sursis, rejoint la galerie de personnage névrosé que l’on retrouve tout au long de la filmographie de Mangold : Wolverine dans Logan, Cash dans Walk the Line, etc… Une thématique récurrente qui pourrait nous pousser à réviser quelque peu la filmographie du bonhomme, trop souvent vu comme un bon faiseur hollywoodien. Cette machine hollywoodienne qui semble quelque peu être la cible déguisée de Mangold. L’analogie est assez évidente : les puissants s’allient avec des gens doués pour mieux contrôler leur créativité, pour finalement qu’ils n’agissent plus de leur propre volonté mais bien de celles de leurs dirigeants. En soi, la fin du film d’un cynisme assez surprenant appuie parfaitement le propos. Et c’est d’autant plus dommage que le film se termine sur une scène de transmission d’héritage, trop classique et crédule pour un film qui ne l’est pas du tout. Et c’est d’ailleurs une constante pour les scènes de vie privé, où Mangold semble moins à l’aise (découpage hésitant, dialogues trop communs) à l’image de ses personnages. Un des derniers plans réhabilitent cette pensée : Shelby, pris d’une crise de panique, arrive à se calmer quand il entend le vrombissement de son moteur. Mangold, Miles et Shelby ne vivent -filment, quelle est la différence ? - que pour la course.
(Les scènes de courses, d’une maestria totale en termes de mise en scène, dégagent une puissance cinétique formidable. Le travail du son, du montage – on n’a jamais vu des changements de vitesse aussi jouissif- est admirable. Quand le générique arrive, nous avons cette envie incontrôlable de monter dans une voiture et de démarrer pied au plancher.)

Valentin_Giraud
8
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le 1 déc. 2019

Critique lue 173 fois

Valentin Giraud

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