Qu’est-ce qui fait un grand film ? Réponse : la critique. Ce film de Godard devenu culte, classé monument du cinéma français d’après guerre. A voir pour ne pas mourir idiot, et comprendre ce qu’est le cinéma selon Godard. Godard, c’est un philosophe, qui réfléchit à ce qui fait le film, pendant qu’il fabrique le film. Son plus bel acte de bravoure, c’est de nous faire penser, douter, chercher, avec lui, pendant qu’on regarde le film. Donc, ça peut devenir vite chiant, pour ne pas dire plus. Toujours à se creuser la tête à lire ses pensées, à déchiffrer, en même temps qu’on devrait courir, marcher, baiser, vivre, merde !
Ça commence par une scène curieuse. Un chef opérateur assit sur des rails de travelling, bien calé derrière sa caméra, glisse vers nous, en filmant une fille qui marche dans la rue, alors qu’elle lit un livre. En voix off, Godard nous explique ce que sera le film qu’on est en train de regarder. Finalement, la fille sort du champ, et la caméra envahit tout l’écran, en nous écrasant presque. Tout Godard, en même pas deux minutes. C’est l’arrivée du train en gare de la Ciotat, mélangé avec la sortie des usines Lumières, inversé. La caméra semble prendre vie, et nous regarde, sauf que c’est nous qui devrions être voyeurs, observeurs, spectateurs, regardeurs.

Alors, la fameuse scène où Brigitte Bardot/Camille, nous fait la page centrale de Playboy, elle arrive très vite. Elle semble déconnectée du contexte, et à une odeur de scandale ou de provoc à la Godard. Ensuite c’est une longue scène de ménage entre elle, et son mec, Paul/ Michel Piccoli. Alors ?


Ça reste rigoureux, voire rigide. Le couple se dissout, et fond comme une aspirine, entre les plus que quatre murs d’une villa romaine, qui finit par ressembler à un labyrinthe affectif. Aucune issue, aucune réponse, aucune vraie question. Tout dans une grande ellipse. Pourquoi ? Pourquoi tu ne m’aimes plus ? Camille ne répond à aucune question :
« Je te méprise. C’est tout. »
On a l’impression que son mari l’a jetté dans les bras du producteur américain/Jack Palance. Mais est-ce la vraie raison ? Le désamour semble remonter à plus loin. Ça couvait depuis des mois, et cet idiot de Paul n’a rien vu. Et la dactylo Camille, cherchait la bonne excuse, elle l’a trouvée. Paul, indécis et inconséquent, qui hésite entre le pognon, (faire scénariste), ou auteur de théâtre (la création artistique, la vraie). Comme c’est du Godard, en pleine possession de ses moyens, certains (non initiés), vont abandonner très vite, et les autres, vont quand même sombrer à la longue.


Je me rappelle l’avoir vu pour la première, fois avec un pote, et on s’était vite retrouvés tétanisés comme deux statues de sel en plein film. Godard fait partie de ceux qui arrivent à étirer le temps, et figer l’espace tellement, qu’on perd toute notion de distance, toute notion tout court. On ne peut plus bouger, avec un sentiment bizarre. Un mélange de fascination et d’ennui. Hypnotique. Même David Lynch, quand on trouve ça chiant, on a encore la force de se lever, et d’appuyer sur la télécommande. Là, même plus la force. Là, t’es piégé, fait comme un rat. (Michal, mon poto. Cette critique est pour toi).
Entretemps, je me suis refait, et j’ai regardé à nouveau, bien décidé, à ne pas me faire avoir.


Godard joue à détourner toutes les lois du cinéma. Il propose un producteur américain qui veut faire un film sur l’Odyssée. Celui-ci engage un scénariste, français, (qu’elle idée !). Et le film serait réalisé par un cinéaste allemand, Fritz Lang en personne à l’écran. Tout le monde se retrouve à la Mecque du cinéma, Cinecittà en ruines, donc en Italie. Ça parle français, anglais, italien, allemand, et une charmante guide polyglotte, sert de traductrice. Heureusement. Sans cette interface, se serait le bordel. En fait, c’est un capharnaüm. La fille est obligée de tout traduire en direct-live, sans synchro, on n’y comprend peu, ou pas grand-chose. La Tour de Babel rencontre l’Odyssée.


Camille c’est  peut-être Pénélope qui s’émancipe d’Ulysse, lasse de ses « infidélités » ? Il n’est pas fidèle à son statut naturel. (Mâle viril, mais effacé, qui hésite, et tergiverse, pas vraiment alpha). La traductrice, lui a tapé dans l’œil à Paul. (Infidélité par omission, double coup de canif au contrat). La traductrice, elle-même souffre-douleur du producteur, incarné par un puissant roc, Palance/Poséidon ?  Et Fritz Lang, Zeus ? Pourquoi pas ? Lang derrière lequel se cache Godard. Sous les traits du maître déchu, qui se vend à Hollywood, et qui va faire des films alimentaires, des films de consommation de masse, hollywoodiens. Les lectures sont multiples. C’est un cheminement de possibles. Dans les ruines du temple du cinéma. Mort, de sa belle mort, tué par le spectacle bon marché, et la vente de sensations faciles, d’idoles en celluloïd. BB, une idole du cinéma, joue la dactylo. Fritz Lang,  une légende du cinéma, joue un faiseur. 
Le sort réservé au producteur, concupiscent et arrogant, est révélateur de la pensée de l'auteur. Camille, elle sera victime collatérale. Dactylo elle était, dactylo elle restera. Comme un retour du cours normal des choses, le cinéma redevient un parcours fléché, une zone topographique, où tous rêvent du chef-d’œuvre (l’Odyssée), inatteignable. Le producteur rappelle tout le temps à la face de tout le monde, et du monde, que ce qui compte c’est lui, car c’est lui qui a l’argent. Et un péplum conceptuel fait par un auteur, ça coûte cher. Et c'est une grosse con traduction. Et Homère s’écrase sur le plancher des vaches, entre des statues de bronze; imperturbables, sereines. Et le ciel bleu, immobile ; et la mer d’huile bleue. Impénétrable. Revu et corrigé, le mythe d’Ulysse devient une histoire conjugale, comme une autre. Mélodrame à la Godard.
Le contexte est "exemplaire", et la conjonction de talents, tout est là, pour faire un morceau de bravoure intellectuel. Je trouve qu’il a fait encore plus fort, avec à peu près les mêmes matériaux, Jean-Luc. BB joue son personnage habituel. Une idole profane, déchue cette fois-ci. Humaine. Vulgaire, mais pas trop. Elle dit : « Trou du cul ! »
Angie_Eklespri
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le 16 janv. 2017

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