Bien que j'essaye toujours de faire montre d'ouverture d'esprit, le cinéma français reste l'une de mes dernières bêtes noires. Ca peut mener à me faire penser des bêtises grosses comme... disons ma tête. Par exemple, avant de voir "Le Mépris", je ne savais rien au sujet de la Nouvelle Vague, sinon qu'elle existait. Je m'imaginais juste un cinéma pseudo-intellectuel, rempli de dialogues sans queue ni tête et de scènes cataleptiques, à base d'acteurs immobiles autour d'une table, dans une cuisine, au temps rythmé par un robinet qui fuit, goutte à goutte. Ou ce genre de choses...
Certes, "Le Mépris" ne représente pas la totalité de ce mouvement cinématographique, mais je pense maintenant un peu mieux cerner ce qu'est la Nouvelle Vague et sa volonté de briser les anciennes conventions. Alors pour le côté "pseudo-intellectuel", il y a quand même indéniablement un peu de ça. Une partie de ce film, et particulièrement le début, est une enfilade de citations parfois totalement hors de propos et de réflexions pour le moins absconses. Godard tente un peu pitoyablement de faire correspondre des thèmes qui ne collent pas ensemble et le résultat ressemble forcément à ce que l'on voit quand un bébé essaye de rentrer un cube dans un orifice circulaire. Prenons les deux thèmes principaux: l'Odyssée (le héros doit réécrire le scénario d'une adaptation) et la mort de l'amour dans le couple (sa femme le méprise à jamais l'espace d'une seule séquence).
- Je pense que Pénélope n'aimait plus Ulysse. C'est pour ça que Ulysse a profité de la guerre de Troie pour fuir son couple. Il avait envie de partir !
Non, Jean-Luc. Bien essayé mais tu t'es planté. Ulysse n'avait pas du tout envie de quitter Ithaque. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle il a tenté de se faire passer pour fou quand on est venu le chercher pour la guerre. Mener des réflexions dans un film, c'est bien, mais pas au prix de n'importe quelle incohérence non plus.
Il y a d'autres petites absurdités de ce genre dans le film, et si on s'en tenait à ça, "Le Mépris" serait bel et bien une arnaque cinématographique de plus. Mais heureusement, l'intérêt est ailleurs. Le film est beau. Gracieux. Les acteurs se déplacent sans cesse, dans une sorte de ballet hypnotique. Les décors sont parfois splendides, écrasant les personnages sous le poids d'une étrange fatalité bien plus grecque que tout leur salmigondis philosophique. Les personnages sont iconiques et les acteurs naturels, Piccoli en tête. Et les dialogues tournant autour de l'éternelle dispute du couple principal, Piccoli-Bardot, sont impressionnants de justesse, eux ! Le quotidien est filmé avec panache et inventivité, sans avoir l'air d'y toucher. On atteint là enfin à une véritable harmonie cinématographique.
Parler de chef-d'oeuvre ne veut peut-être plus dire grand-chose aujourd'hui, mais je doute que "Le Mépris" en soit un. Il se perd malheureusement plusieurs fois dans la tentative de création d'un mythe qui le dépasse. Il ne confine au sublime que lorsqu'il retrouve cette humilité de ton, quand il s'ingénie à analyser la déconstruction d'un couple et à filmer le mystère insondable de l'amour et de son extinction. Et pour la première fois, je pense même que la présence de Bardot, incroyablement belle, ne gâche en rien la pellicule...