À la recherche du bonheur perdu

Le Miroir n’est nullement un film hermétique, mais l’œuvre infiniment subtile d’un cinéaste au sommet de son art qui se lance à la recherche de son passé et de ses souvenirs. Avouons que la première vision est dérangeante, la clef n’est donnée que dans les cinq dernières minutes.


Le narrateur est alité, gravement malade. Il voulait être heureux. Ces propos se font confus. La fièvre, toujours la fièvre : « Tout s’arrangera, maman... » Nous quittons sa chambre, le montage s’accélère, la fièvre encore. Tout est récapitulé, la musique se fait lyrique, un jeune couple heureux, un enfant, le bois pourri, la nature si riche... L’eau croupissante, toujours de l’eau... La grand-mère, les gamins, la mère si belle, si seule, qui attend un mari qui ne reviendra pas...


Andreï Tarkovski ose l’impensable, nous inviter dans ses souvenirs... Non, pas nous raconter sa vie, ni nous infliger ses mémoires, mais nous convier à suivre les méandres de la pensée d’un homme âgé, qui rêve et regrette ce qui a pu être, voire ce qui aurait pu être. « Je fais souvent ce songe, je suis dans la maison de mon grand-père, enfant, et l’immense bonheur est gâché par l’attente de l’éveil (...) Je guette le retour de ce rêve, où je suis enfant, où je suis heureux parce que tout est encore à faire, tout est encore possible... »


Sa pensée n’est pas linéaire, mais intuitive, son cheminement imprévisible. L’homme sage débuterait par : « Je suis né, en toute simplicité, sur la table des repas. » Il poursuivrait par son enfance, la séparation de ses parents, la guerre et ses traumatismes, le retour des héros, l’adolescence, la peur de sa mère, l’absence du père, le mariage, la naissance de son fils, le divorce... Mais, ce n’est pas ainsi que l’esprit fonctionne. Il fonctionne par réminiscences, la bourrasque dans la forêt, le déluge, la grange en flammes. Ou par associations d’idées, de la tête de l’enfant à la tête de Mao... De la boue du siège de Leningrad à la neige de son enfance...


Vingt fois, Tarkovski reprendra son montage pour aboutir à ce chef d’œuvre. Artiste en pleine possession de son art, il joue des couleurs – le noir et blanc des archives, le sépia des souvenirs lointains, la couleur des mémoires vives –, des plans séquence, des gros plans, de sa passion pour le feu, la nature et l’eau. De l’eau sous toutes ses formes, la buée, les larmes, la pluie, l’eau ruisselante ou stagnante... Tel le miroir déformant, la mémoire peut être trompeuse. Il confond sa mère et sa femme, son personnage enfant et son propre fils et nous perd un peu.


Le réalisateur n’a pas peur du silence. Il est bon de se taire : « Les mots sont incapables de dire tout ce que l’homme ressent, les mots sont amorphes ». Sa mère joue son propre rôle. Son père, enfin retrouvé, lit ses propres poèmes d’une voix de basse hypnotique. Alors, la fiction se fait documentaire... et les spectateurs, ceux qui sont restés, s’émerveillent.

Step de Boisse

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