Certainement parmi les premiers films post apo, Le monde, la chair et le diable s'appuie sur un postulat de départ qui parait aujourd'hui classique : une troisième guerre mondiale, nucléaire, a éradiqué quasiment toute vie humaine à la surface de la terre. Dans un New York désertique, un homme esseulé survit, dans un premier temps, par ses propres moyens, jusqu'à y rencontrer quelques semblables, qui viendront remettre en cause sa survie et ses perspectives d'avenir.
En ce sens, le film est passionnant, du moins pendant sa première moitié. En plus de mettre New York en valeur par une photographie majestueuse et surtout très inspirée -les jeux d'échelles et l'exploitation maximale de la profondeur de champ des images nous plongent au coeur de la ville, avec un réalisme assez stupéfiant- Ranald Macdougall fait la part belle à son protagoniste. Un homme de couleur, habité avec hargne par l'excellent Harry Belafonte, pour qui les cartes ont été redistribuées, est désormais débarrassé des regards plein de préjugés qu'il avait l'habitude de provoquer. On sent cette liberté totale dont il jouit enfin, loin des regards et des jugements raciaux, il se laisse aller, sans arrière pensée.
Puis vient la rencontre, celle qui symbolise la réinsertion dans son univers des règles d'une vie en communauté. Les craintes reviennent, les clivages raciaux également. Le cinéaste traite ses thématiques avec subtilité, sans sombrer dans une démonstration de morale malvenue. Et on peut imaginer qu'à l'époque où le film est sorti, l'impact a du être assez conséquent.
Il est par contre bien dommage que Macdougall ne parvienne pas à conserver cette distance tout le long de son film et le plombe quelque peu dans sa dernière partie, celle du diable. Dès que le rival entre en scène, il se laisse aller à la facilité, et on se prend à soupirer devant l'exagération de certaines séquences, pourtant musclées et très bien réalisées. Cette poursuite très western qui anime le film vers sa fin est un superbe exemple de mise en oeuvre formelle, très dynamique dans sa mise en scène, mais d'une lourdeur symbolique qui dessert une bonne partie de son propos..
En bref, Le monde, la chair et le diable est à découvrir impérativement tant il met à l'amande d'autres films ayant surfé sur ce même thème ces dernières années. On pense par exemple à Je suis une légende qui en est le reflet inaltéré, sinon par quelques froufrous numériques dont les cinéastes ont le secret aujourd'hui. Et quand on voit comme le film de Macdougall le fait rougir formellement, on se demande pourquoi aujourd'hui le principal souci des producteurs est cette soif de technologie, alors qu'ils sont déjà largement en possession de tous les moyens nécessaires pour mettre en valeur n'importe quelle thématique.