Passons rapidement sur le respect du roman d'Arthur Conan Doyle. Pour autant que je m'en souvienne, c'est plutôt fidèle, peut-être même trop, ce qui balafre le film de quelques longueurs qui ne se justifient que par une volonté appuyée de respecter à la lettre les enjeux placés dans le bouquin, créant un fort déséquilibre entre la première partie préparant mollement l'expédition en piaillant un romantisme mièvre et l'aventure elle même, au milieu de ces animaux titanesques se faisant face dans des affrontements sanglants.

Lorsqu'on évoque l'histoire des effets spéciaux et leur révolution technique, lorsqu'on parle des ancêtres de Jurassic Park, d'Avatar ou de Lord of the Rings, on cite souvent, et à raison, le nom de Ray Harryhausen, par ailleurs mis à l'honneur à la fin du générique du récent Pacific Rim, comme génie émérite de la stop motion, créateur à l'imaginaire bouillonnant, père de tant de merveilles qui se ses mains passèrent de fantasme à vie. Et c'est chose légitime que de rendre de fréquents hommage à ce dieu passionné.
Pourtant, on oublie trop souvent que le bonhomme ne s'est pas réveillé un matin en se disant "Tiens, je vais aller demander à Eugène Lourié si je peux réaliser le Rhedosaurus de son "The Beast from 20 000 Fathoms" ". Non. Ray n'avait pas encore 10 ans qu'il faisait déjà tout son possible pour dégoter des places de ciné dans l'unique but d'aller admirer les lézards géants d'un autre génie de l'animation, Willis O'Brien, déclarant plus tard, en compagnie de son ami et voisin de rêveries Ray Bradbury, également touché par les créations de l'illustrateur de ce Monde Perdu, qu'il n'est pas de terrain plus merveilleux pour l'imaginaire que le monde du préhistorique, les terres piétinées par les géants du passé. Et c'est à 13 ans, assistant les yeux écarquillés à la première de King Kong que Ray, devant le talent de son mentor pour animer la violence bestiale et la poésie d'un monde oublié, décida d'en faire sa vocation. La suite, tous les fans du genre la connaissent...

The Lost World, film muet précédant l'oeuvre majeure du bonhomme huit ans plus tard connue sous la forme d'un gorille géant collant des torgnoles à des gros lézards, reste une petite perle du genre, une pellicule d'un temps reculé, rafistolée avec hargne pour nous rendre au mieux ces combats rugissants. Le film de Hoyt offre une galerie somptueuse de bestiaux dantesques dans des décors savoureux, comme échappés d'un vieux livre de gravures du début du 20ème siècle. Tout y est charmant, des accumulations d'animaux dans les plus parfaits anachronismes qu'une histoire de monde perdu peut bien se permettre, entre affrontements d'allosaurus et de tricératops, brontosaurus engloutissant des fougères en compagnie d'hadrosauridés et humanoïdes velus rappelant fortement le "chaînon manquant" de "The Dinosaur and the Missing Link: A Prehistoric Tragedy", autre rejeton filmique d'O'Brien réalisé dix ans plus tôt. L'ensemble est aussi séduisant dans ce qu'il marque une époque, un temps regretté où les croyances en une terre isolée, vierge, hors du temps étaient encore permises. Un temps où les allosaurus étaient moins bipèdes que tripodes, marchant avec leurs queues comme les kangourous et où le reste des sauriens avait la démarche de gros iguanes après un couscous surchargé. Et le tout modelé, animé, doté de souffle et de férocité avec un amour de la chose qui touche tout en exposant un talent rare.

Ce film est à voir, ne serait-ce que pour ses nombreuses scènes au sommet du plateau foisonnant, grouillant de prédateurs et autres titans improbables, et pour son final, montrant un "brontosaure" (le nom communément admis est en fait apatosaure m'enfin passons...) déambulant dans les rues de Londres et démolissant tout sur son passage. Une séquence qui me donne envie de créer une liste "Le top des gros cons qui trouvent une créature gigantesque dans une contrée perdue et qui décident de la ramener en ville."
zombiraptor

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