Le Monde perdu
5.1
Le Monde perdu

Film de Irwin Allen (1960)

Avis aux détracteurs hargneux de l'invasion numérique à qui l'idée d'un Jurassic World bien pauvre en animatronics donne des boutons, ce film tout en carton-pâte, forêt de plastique, plantes repeintes en rose et en bleu (pour les filles et les garçons donc), matte paintings grossiers et créatures de rêve (je parle des indigènes ingénues en robes de daim moulantes hein, pas des lézards pas si terribles) est fait pour vous.


Imaginez le charme désuet et vaguement réactionnaire d'un film d'aventures américain de la toute fin des années 50. Les femmes n'y sont que des objets un peu cruches auxquels on refuse tout d'abord de participer, pour carrément les rendre pratiquement muettes, en tout cas parfaitement inutiles. En revanche, elles sont "belles" et bien têtues, au point de courir dans la forêt vierge en talons et déshabillé de soie.


Imaginez le charme désuet et vaguement réactionnaire d'un film d'aventures américain de la toute fin des années 50. Les autochtones et étrangers (comprenez "pas les riches blancs") y ont un accent grossier ou baragouinent une langue grotesque et inintelligible, sont forcément violents et cupides voire même cannibales et barbares. Ah, les bienfaits de la civilisation occidentale sur ces rustres d'espingouins immigrés qui ne pensent qu'à violer des indigènes mutiques et à chouraver tous les diamants possibles et imaginables...


Imaginez encore le charme désuet et vaguement réactionnaire d'un film d'aventures américain de la toute fin des années 50. Où les dinosaures n'ont plus rien de théropodes lointain cousins des oiseaux d'aujourd'hui, mais possèdent la majesté rutilante de varans, de petits crocodiliens ou d'iguanes, admirablement travelotés d'écailles et d'épines en tout genre. Pour un peu, ils cracheraient du feu mais ce serait trop demander. Et pourtant, devant ces créatures filmées dans des terrariums reconstituant une jungle miniature en matières composites, un certain charme opère donc. Le combat fameux des deux balourds de la forêt amazonienne la moins crédible du monde à une vraie puissance : il serait aujourd'hui pratiquement impensable de mettre en scène un combat de ce genre entre deux vrais animaux qui se foutent vraiment sur la gueule avant d'être jetés dans le vide (probablement peu profond certes) par un homo ex machina hors champ. La SPA en ferait des cauchemars, c'est certain.


Imaginez enfin le charme désuet et vaguement réactionnaire d'un film d'aventures américain de la toute fin des années 50. Ses grottes de polystyrène. Ses volcans en fusions. Ces monstres vivant dans des lacs de poix bouillante. Ces squelettes géants, ses oeufs, ses araignées fluos, et j'en passe. On nage bien sûr en plein délire de pacotille mais on se marre bien. Il est amusant de se dire que pendant presque tout le film, pas un mort n'est à déplorer - on retrouve même le vieux fou qui s'était perdu des années avant. Incohérences à la pelle, problèmes de rythme, faux raccords végétation, Amazonie qui devient en quelques plans une forêt banale de l'hémisphère nord, un vaste matte-painting d'inspiration pseudo jurassique, une maquette en papier mâché ou un décor de studio vaguement sous acide. Et bien sûr, à la fin, les gentils triomphent, les méchants hispanophones meurent dans d'atroces souffrance, les indigènes barbares brûlent, le chien et les bourgeois blancs n'ont pas une égratignure, on ramène à la maison un bébé T.Rex absolument ridicule que ça en devient hilarant, fin...


...et Spielberg tournera bien des années après son Monde perdu à lui, plus de Conan Doyle mais du Crichton à l'horizon, et la mort frappera bien plus souvent qu'ici, à grand renforts de hautes herbes, de véhicules qui chutent dans le vide, d'animatronics en furie et d'un plus grand respect des découvertes paléontologiques.


A voir pour son côté suranné et ses seconds rôles truculents et nanardesque, de Jay Novello à la plus charmante et toujours élégante - un vrai défilé de mode dans la jungle ! - Jill ST John. Une curiosité objectivement assez vaine et ratée, mais qui possède ce charme un peu fou, discret, en tout cas désuet, de l'Amazonie en pâte à modeler.

Krokodebil
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le 12 juin 2015

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