S'il devait rester un seul film pour démontrer le génie de Steven Spielberg, ce serait sûrement celui-là. Car Jurassic Park, 2ème du nom, n'a a priori rien pour lui : pas de background historique qui vous pose un homme (La Liste Schindler, Amistad, Munich), pas d'acteur-phare consensuel (Tom Hanks dans Il Faut Sauver le Soldat Ryan), pas de concept-hero qui déchire (Indiana Jones), ou de magie de l'enfance (E.T.), pas de suburb américaine (La Guerre des Mondes) ou de monstres captivants (Rencontres du 3ème Type), pas de révolution technologique (la 3D de Jurassic Park) ; non, Le Monde Perdu n'a rien pour lui. Juste une volonté : faire du pognon, vendre des jouets, sucer la moelle de la franchise jusqu'à l'os.

C'est là que l'incroyable talent de Spielberg se manifeste, en magnifiant cette feuille de route vaste comme un ticket de métro. Un talent omniprésent, de la mise en scène au scénario (signé David Koepp), des acteurs principaux (Jeff Goldblum) aux seconds rôles (Julianne Moore, Pete Postlethwaite, Peter Stormare...)

Commençons justement par les acteurs. Dans Jurassic Park, Goldblum jouait le rôle du sidekick de luxe. Dans Le Monde Perdu, il devient le héros, doté lui-même d'une sidekick, son improbable fillette, noire (Vanessa Lee Chester), d'une épouse (Julianne Moore, qu'il n'embrassera pas une seule fois, Spielberg a décidément un problème avec le sexe), d'un reporter de guerre activiste écologique (sic, Vince Vaughn dans un de ses premiers blockbusters), et d'un scientifique craintif (Richard Schiff, pas encore notre Toby A La Maison Blanche).

Goldblum est parfait, comme d'habitude, mais il est parfaitement parfait dans ce Jurassic Park-là ; car il faut toute sa décontraction classieuse pour participer à cet horrible projet de sequel et s'en moquer en même temps. Ainsi selon l'une de ses premières répliques, Spielberg parle en direct au spectateur. « Je sais que tu es venu voir encore des dinos, semble nous dire le réalisateur, des types qui se font bouffer, des gamins qui hurlent et des bagnoles qui explosent ; ne t'inquiètes pas, j'ai tout ça dans ma besace ! » À un personnage qui s'extasie devant les premiers gentils stégosaures, Jeff Goldblum se fait alors le porte-parole du programme Spielbergien : « Oooh! Ahhh! That's how it always starts. Then later there's running, and screaming... »

Ce programme va être déroulé pendant deux heures à un rythme de plus en plus soutenu, entièrement basé sur le principe hitchcockien de l'ironie dramatique (les spectateurs savent, et nos héros ne savent pas), et enchaîner perf sur perf : la scène du camping-car, le safari, la pause pipi, la poursuite dans la brousse, la scène finale à San Diego. Pas une minute, Spielberg ne lâchera le morceau : du hamburger, mais cuit à la bonne température, avec juste ce qu'il faut de ketchup et de cheddar. C'est bien pour ça qu'on retourne chez McDo, non ? Retrouver toujours le même BigMac.

Spielberg se paie même le luxe d'ajouter quelques subtilités (dialogues underestatement, personnage atypique du chasseur malheureux, et cet aveu, tellement gros qu'on ne peut imaginer une seule seconde qu'il ne soit pas autobiographique, issu de la bouche de la fille de Jeff Goldblum : « Tu aimes les enfants mais tu n'aimes pas être avec eux ! »

Ce Spielberg sarcastique, nous l'avons malheuresuement perdu de vue depuis ses « grands films ». On aimerait retrouver ce Spielberg-là, dans un projet léger, fun, une nouvelle franchise à deux balles, et pas dans Cheval de Guerre ou Terra Nova, dont on est sûr qu'il n'a écrit aucune ligne...

ludovico
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le 15 mars 2012

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