Un film télévisuel pour le moins visionnaire. Rainer Werner Fassbinder signe en 1973 une fable d'anticipation encore et toujours d'actualité... sans doute peut-être plus que jamais à l'aune du transhumanisme et du libéralisme extrême et décomplexé du monde contemporain. Mise en abyme au pouvoir discursif vertigineux Le Monde sur le fil - construit en deux parties d'égale durée - nous plonge dans les arcanes d'une firme cybernétique cherchant à créer une réalité alternative à des fins scientifiques... et commerciales !
L'atmosphère étrange, quasiment martienne et le discours passionnant de cette politique-fiction annoncent bien des années plus tôt les réflexions philosophiques du surestimé Matrix... Il est d'ailleurs question des valeurs idéalistes de la pensée platonicienne dans la seconde moitié du programme, programme jouant sur l'ambiguïté du réel avec constance, intelligence et maîtrise. Rigoureux, pas toujours étranger à l'ennui Le Monde sur le fil n'en demeure pas moins d'une remarquable tenue technique et narrative, doué d'un sens de l'équilibre forcément louable in fine.
En prenant le point de vue d'un protagoniste présenté comme un individu à la sceptique et paranoïaque Fassbinder brouille les repères séparant la réalité de la virtualité, nous immergeant dans une fiction conjuguant thriller psychologique et fable dystopique... On décèle de temps à autre le regard acerbe que porte le cinéaste sur le capitalisme et ses incorrigibles marchands de sable, prêts à éliminer les réfractaires au système au point de les effacer littéralement du circuit ( on peut également y voir les anciens démons du national-socialisme dans le processus technologique déshumanisant de la création d'un microcosme illusoire... et idéaliste ! ).
Un film riche et superbement mené par le chef de file du nouveau cinéma allemand, brillante réflexion sur l'existence et la condition humaine doublée d'un charme à la fois moderne et suranné. Du grand art.