Le musée des merveilles est un film regorgeant d’idées magnifiques, mais qui n'arrive pas à en extraire toute la substance poétique. J’ai d’abord été enchanté par la façon dont le film jongle entre les époques : cette manière de décontenancer nos attentes, d’utiliser les pouvoirs magiques du cinéma pour explorer le monde féerique de l’enfance, arrive pleinement à attiser notre curiosité et à nous donner l’envie de poursuivre l’aventure.


Par ailleurs, le choix de lier l’émerveillement d’un enfant au cinéma muet dresse un parallèle d’une réelle beauté entre la candeur de l'enfance et un cinéma des origines pas encore embarrassé par l’appareil sonore. Ce cinéma, peut-être plus attentif au travail purement visuel, est relié à la surdité de Rose, dont le rapport au Réel passe en priorité par le prisme de la vision. Que le segment narratif la mettant en scène épouse l’esthétique du cinéma muet apparaît non seulement comme réellement pertinent, mais est aussi à l’origine d’une poésie infinie qui en dit beaucoup sur les pouvoirs de fascination de l’image cinématographique.


La surdité de Rose et de Ben suppose un élément manquant dans leur capacité à ordonner leurs sensations. Ce manque, c’est aussi ce lien affectif qui n’a pas pu être noué avec leur famille, et qui laisse le champ libre à la tristesse. Ces cellules familiales éclatées, incomplètes, peuvent alors être perçues comme des irrégularités au sein d’un Réel qui demande de l’ordre, de la stabilité. L’enjeu du film va alors être de réussir à sublimer cette irrégularité en cherchant justement à découvrir le monde par le biais de la différence, de ce qui, par contraste avec l’ordre habituel des choses, crée en nous de la fascination. C’est à un apprentissage de l’émerveillement que les deux personnages sont conviés, à la perception de ces excentricités sublimes, ces espaces oniriques qui ouvrent les perspectives.


Le musée devient alors l’expression d’un lieu où l’Histoire et l’Art viennent dessiner une constellation de formes qui envoûtent, élargissent et creusent le cadre de la perception là où l’absence d’un sens aurait pu signifier un appauvrissement du lien au Réel. Ainsi, la rencontre de plusieurs irrégularités (celles du musée, de l’agitation urbaine, de ce qui sort de l’ordinaire, et l’absence d’un sens mêlé à l’absence de parents) amène l’individu à voir autrement, et mieux. Le côté aventureux de ces deux enfants, en quête d’amour, de filiation et de vérité, symbolise alors cette ouverture sur l’inconnu, à une perception autre, qui tranche, contraste avec la morosité du quotidien.


J’ai vraiment été séduit par cette façon de nous parler de l’enfance, du regard peut-être plus intense, plus approfondi et émerveillé que ces jeunes personnes peuvent porter sur le Réel. Ce cabinet des merveilles, ne dit-il pas quelque chose de la curiosité, de la soif de découverte, de compréhension – de nos origines, de l’Art, de l’Humanité – que nous portons en nous ? Du vertige qu’il y a dans les échelles entre le microcosme et le macrocosme, entre l’intime et l’universel qui se reflètent dans les maquettes, dans cet appel de l’Espace, dans la résonnance d’un film en soi ? Ce musée et ses merveilles est alors le symbole de notre gout curieux pour l’anormal, pour ce qui échappe aux catégories et par là même nous invite à l’évasion, à un lâcher-prise et à la créativité.


Néanmoins, si je n’ai pas été entièrement satisfait par le film, c’est avant tout parce qu’il n’arrive pas à exprimer sur la durée ce sentiment d’émerveillement. En effet, au lieu de se réinventer constamment, le film maintient une même ligne mélodique et dramatique pendant une grande partie de son récit. Le recours constant au même thème musical, la façon très répétitive de filmer l’émerveillement, avec cette caméra qui scrute le décor, ces raccords regards pas toujours très inspirés, donnent le sentiment que le film n’est visuellement pas à la hauteur des idées qu’il souhaite exprimer. Ce lien plus intense qui relie le regard de ces enfants au Réel finit par se relâcher en raison du caractère très redondant de l’ensemble. Au lieu d’être emporté, fasciné, en permanence surpris par les incongruités de la vie, le spectateur risque plutôt au mieux de se laisser bercer par les images, au pire de sortir du récit.


Aussi, j’ai trouvé assez étrange la façon dont les scènes d’exposition multipliaient les pistes narratives, épaississaient les mystères, alors que le reste du récit ne cherchera pas à les éluder avant le dernier quart d’heure. Ce qui fait que, plus le film avance, plus l’on se demande quand est-ce que les clés de compréhension nous seront livrées. Le film donne alors l’impression de stagner, d’avoir postulé beaucoup trop de choses à son point de départ pour ne pas irrémédiablement finir par nous décevoir au moment de la résolution. Et c’est malheureusement ce qui arrive : la fin est beaucoup trop expéditive, explicative, mièvre et en rupture avec la tonalité précédente pour réellement nous émouvoir. De plus, elle est aussi en un sens décevante, puisqu’elle ne semble que très mollement justifier cette mise en miroir des deux récits.


Ainsi, je reproche au film de ne pas avoir assez trouvé d’idées visuelles pour réellement discourir sur la perception. Mettre de la musique par-dessus les images n’est malheureusement pas suffisant si la logique visuelle de l’œuvre n’est pas plus souvent perturbée par des trouvailles capables de réinsuffler de l’émerveillement, de la féerie et de la sensibilité.

Sartorious
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le 15 nov. 2017

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