Le roman d'Umberto Eco est extrêmement foisonnant et s'inspire directement de cette période d'inquisition qui suivi les croisades contre les cathares. Le personnage de Bernardo Gui a bien existé et fut le grand inquisiteur de Toulouse. Guillaume de Baskerville s'inspire de Bernard Délicieux, moine franciscain qui mourut en prison pour avoir voulu protéger quelques cathares, mais complètement modernisé par Eco.
Eco multiplie les thèmes autour de l'enquête de ce moine franciscain. Ce qu'on peut approfondir dans un roman n'est pas forcément transposable au cinéma. Entre la sémiologie, la philosophie et la théologie, il y a de quoi endormir les spectateurs de plusieurs films.



L'orgueil et la raison



Heureusement, Jean-Jacques Annaud ne conserve que quelques thèmes forts autour de l'enquête. Surtout, il conserve cet artifice largement employé dans les romans historiques: plonger un héros contemporain du lecteur ou du spectateur dans une époque qui nous est étrangère. De facto, ce héros nous semble sage et raisonnable, car il est notre reflet au milieu de personnages qui nous paraissent obscurantistes. D'ailleurs le héros s'appelle Guillaume de Baskerville, ce qui nous ramène à Conan Doyle, mais aussi au très rationnel Guillaume D'Ockham.


Reprenant et aggravant l'attitude condescendante d'Umberto Eco pour une époque ancienne, Jean-Jacques Annaud force le trait avec des trognes patibulaires ou débiles, des personnages qui pataugent dans leur crasse et dans la boue (croyez-vous que les constructeurs de tels monuments n'aient pas pavé les accès?). Tout est fait pour que nous nous sentions étrangers à ce lieu, à ces personnages, à cet obscurantisme et que nous nous solidarisions avec Guillaume de Baskerville et son novice, nos contemporains égarés dans cette époque inquiétante.



On n'est pas là pour rigoler



Face à eux, nous avons ce bibliothécaire aveugle de toutes les manières qui refuse le rire: "Le rire tue la peur, et sans la peur il n'est pas de foi."
Il y a aussi l'abbé qui à l'instar du pape et de l'ancien testament, considère que la richesse de l'église est la reconnaissance par Dieu: "Son troupeau croissait en nombre et il vit que la main de Dieu était sur lui"; opposé aux franciscains qui se réfèrent au nouveau testament: "Il est plus difficile à un riche d'accéder au royaume des cieux qu'à un chameau de passer par le chas d'une aiguille".
Enfin, Bernardo Gui, l'inquisiteur digne héritier de Arnaud-Amaury qui disait à la prise de Béziers par les croisés: "Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens".



C'est la fille



Un autre thème est aussi abordé: l'opposition entre amour profane et amour sacré. Adso expérimente avant de choisir, tandis que Guillaume théorise: "Que la vie serait paisible sans l'amour, Adso. Tellement rassurante, tellement tranquille... et tellement triste."
Remarquons que ce sont les prières d'Adso qui semblent sauver la petite sauvageonne.



La foi et la raison



En bon publiciste qu'il est, Annaud nous vend les thèses d'Eco contre le fanatisme religieux, contre la mise sous séquestre du savoir...Nous étions déjà de cet avis? Il enfoncerait des portes ouvertes? Tant mieux, on réussit toujours mieux en suivant le mouvement tout en feignant d'en être l'instigateur.


Cependant, les critiques que je formule sont aussi les raisons pour lesquelles je trouve que ce film est réussi. C'est la capacité d'Annaud à nous plonger dans ce monde, par les images, plus encore que par le texte, par ses exagérations, par l'opposition qu'il crée entre notre siècle rationaliste et cette époque de foi.

-Marc-
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le 10 juil. 2015

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-Marc-

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