En 1327, alors que la chrétienté est divisée entre l'autorité papale de Jean XXII et celle de l'empereur Louis IV du Saint-Empire, le moine franciscain Guillaume de Baskerville et le novice Adso von Melk enquêtent sur des morts suspectes qui ont eu lieu dans une abbaye bénédictine. Malgré les silences de l'abbé et du vénérable Jorge, Guillaume pressent que la clé du mystère se trouve dans la bibliothèque. Un inquisiteur, accouru pour remettre de l'ordre dans ce monastère, qui semble en proie à l'hérésie, condamne au bûcher deux moines et la jeune paysanne qui se prête volontiers à assouvir les désirs les moins purs des ressortissants. Finalement Guillaume parvient à résoudre l'énigme. C'est Jorge, en empoisonnant les pages d'un livre sacré et interdit, qui a entraîné la mort de moines trop curieux...

A l'opposé des mises en scène fastueuses des productions hollywoodiennes ou des aventures exotiques, Jean-Jacques Annaud a préféré, pour ce film cosmopolite, le huit-clos d'un monastère perdu dans les terres désertes de l'Italie septentrionale et le spectacle d'idées au spectacle tout court. L'environnement âpre et sauvage sert de toile de fond aux génériques du début et de la fin ; son immensité se prête à évoquer un ailleurs dont la découverte est l'un des thèmes du film. Mais l'essentiel se déroule à l'intérieur même de l'abbaye, dans les salles communes, la chapelle, la bibliothèque, le réfectoire et les étroites cellules des moines. Là, plongée dans un clair-obscur savamment dosé, la vie ne conserve pas moins une intensité que le confinement rend encore plus inquiétante ; les cloîtrés réprimant leurs désirs ou les assouvissant honteusement et partageant leur temps entre l'étude et la prière.

Rien apparemment ne saurait précipiter le cours tranquille de ces existences, sinon l'irruption de l'étranger indésirable et, de surcroît, hérétique. Situé au coeur d'une période mouvementée, le film se développe sur un rythme de plus en plus soutenu avec pour objectif le combat des hommes contre l'obscurantisme et l'opposition entre raison et surnaturel . C'est, par ailleurs, un plaidoyer en faveur de la liberté de conscience. Si la plupart des moines sont considérés comme des illuminés et des hypocrites, les personnages interprétés par Sean Connery et Christian Slater semblent s'interroger réellement sur le mystère de la foi et de l'amour de Dieu.

Sans effets spéciaux, ni déploiement de foule, aux antipodes du bruit et de la fureur, "Le Nom de la rose" a suscité l'engouement du public lors de sa sortie en 1986 et bénéficié d'un succès international. Or si le film apparaît aussi spectaculaire que ceux des maîtres américains, n'est-ce pas simplement parce que le cinéaste a choisi de prendre le contre-pied des règles et artifices du genre ? Il n'a point tenté d'adapter le roman philosophique de l'écrivain italien Umberto Eco, mais en a réalisé un palimpseste. C'est ainsi - expliquait-il à l'époque - qu'on appelle les vieux parchemins qui ont été grattés pour pouvoir être réutilisés, mais sous lesquels apparaissent, par fragments, les textes d'époque. Donc le livre va sûrement transparaître dans le film, mais j'ai voulu filmer ma vision de ce livre qui peut être lu à plusieurs niveaux. Et Eco, qui l'a très bien compris, m'y a d'ailleurs encouragé".
Ainsi, en imposant à son récit, à sa dramaturgie et aux personnages de se plier aux impératifs du réalisme, Annaud est-il parvenu à imposer une vérité historique et un climat qui permettent d'adhérer pleinement à cette aventure humaine hors du commun, aventure qui explore d'autres horizons que ceux de l'imagination pure et aborde avec pertinence l'histoire et son héritage, le savoir et sa transmission, la religion et son pouvoir, l'homme et sa dualité esprit/matière. Ainsi les horizons infinis de la pensée et du destin d'une civilisation élargissent-ils la fiction policière et moyenâgeuse de l'intrigue aux dimensions d'une fresque métaphysique.

Avec cette oeuvre réussie et passionnante, Annaud s'est imposé comme le précurseur d'un cinéma européen ambitieux qui ose s'attaquer à des sujets difficiles sans rien perdre de son attraction populaire. Un défi gagné et un long métrage devenu un classique. Et l'une des plus belles prestations de l'acteur Sean Connery.
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le 28 juil. 2013

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