En 1744, à Paris, naît Jean-Baptiste Grenouille. En grandissant, il découvre un monde à la lumière de son talent olfactif et décide de devenir parfumeur, pour apprendre à conserver les odeurs, car il s'est rendu compte en tuant accidentellement une jeune fille que les parfums ne sont pas éternels. Engagé comme apprenti chez Giuseppe Baldini, Grenouille se met en tête de créer la fragrance idéale composée de treize éléments odorants. Pour ce projet fantasque, le jeune homme est amené à tuer des jeunes filles pour leur voler leur effluve. Bien sûr, les décès mystérieux posent question dans la ville de Grasse et Antoine Richis, riche propriétaire et père d'une adolescente, s'évertue à arrêter le criminel... mais Grenouille parvient à tuer la fille Richis et à élaborer l'exhalaison idyllique. Finalement, le coupable est arrêté, condamné puis libéré. Grenouille rentre à Paris où il trouve une fin pitoyable, à l'endroit même où il avait vu le jour.


Toute adaptation à l'écran d'une œuvre littéraire est en partie une trahison. Patrick Süskind, l'auteur du roman, a longtemps refusé que son ouvrage soit porté sur la toile (que ce soit par Burton, Kubrick, Scorsese, Scott ou Spielberg), ce qui est compréhensible compte tenu de la complexité de sa fiction.
Pourtant, Tom Tykwer réalise un grand film, en conservant l'atmosphère d'un Paris du XVIIIe siècle décrite comme extrêmement lourde et chargée, que ce soit dans les odeurs ou dans les sons. Le principal écart du réalisateur consiste en un changement de l'image du personnage principal et, comme c'est souvent le cas lors d'adaptations, un raccourcissement de passages du livre ou l'allongement d'autres : les sept années que passe Jean-Baptiste dans le Massif central, fragment plus psychologique du roman, ne sont représentées que par quelques minutes. Quiconque a lu et aimé le roman avant de voir le film ne peut qu'être déçu par certaines scènes rendues excellentes par l'écrit devenues presque risibles à l'écran. Grenouille, décrit comme un être humain laid, trapu et inexpressif par Süskind devient ici un jeune homme extrêmement mince, certes, mais plutôt grand, beau et qui possède un air un peu trop innocent...
Ben Wishaw, qui endosse le rôle de Grenouille, débutant dans le cinéma tâche, au long du film, de rattraper les inéquations du scénario et du roman en adaptant, par exemple, sa démarche et ses attitudes. Il possède un faciès en lame de couteau et une allure presque angélique et, par son regard pénétrant ou ses gestes convulsifs lorsqu'il « ressent » une odeur, permet de comprendre les motivations néanmoins dramatiques et criminelles du personnage. Le reste du casting fait preuve d'un très bon choix. Qui mieux que Dustin Hoffman pouvait interpréter Baldini, le parfumeur narcissique avec prestance et autodérision (un peu comme il l'avait fait pour James Hook dans "Hook") ? Quant à Alan Rickman, qui tient le rôle d'Antoine Richis, il est plutôt rare de le voir camper des personnages « gentils », ce qu'il fait pourtant prodigieusement (cfr le Colonel Brandon dans "Sense and Sensibility")... on savait déjà qu'il n'avait pas son pareil pour arracher le coeur des spectatrices à la petite cuillère, mais là il marque encore un grand coup en père attentionné qui, pour mieux veiller sur sa fille, songe à l'enfermer dans un couvent quand l'autre ne pense qu'à enfermer sa beauté virginale dans un flacon.. Pour le narrateur, John Hurt s'avère être brillant... Les films "Elephant Man" et "Harry Potter" (où il jouait respectivement John Merrick et Ollivander) n'avaient pas habitué le spectateur à si bonne intonation. Reste Rachel Hurd-Wood, la jolie rousse incarnant Laure Richis, découverte dans "Peter Pan"... La jeune actrice est assez prometteuse et joue l'adolescente écervelée qui se veut parfois rebelle avec une crédibilité étonnante. En réalité, le personnage manquant le plus de vraisemblance demeure Grenouille, conformément au texte de Süskind.

Pour ce qui est des couleurs, les dominantes restent terreuses, voire ternes, sauf pour les scènes hors de la ville. Ce chromatisme respire le réel et ajoute un peu de crédit au reste, en faisant presque passer certaines odeurs à travers l'image. A la fois crasseuse et sans fioriture, l'ambiance se trouve soulignée par ce jeu de couleurs rappelant un peu les tableaux d'Adriaen Brouwer où populisme, réalisme et jeux de lumière se mariaient avec la même osmose que les coloris dans "The Perfume".
La musique quant à elle colle parfaitement à l'image que l'on a sous les yeux. Tantôt rapide et rythmée, tantôt lente et quasiment glamour, selon les scènes de course ou de sensualisme, elle est en adéquation avec l'époque également. Aucun instrument moderne trop flagrant.
Au niveau du jeu de caméra, on reconnaît aisément la marque de Tykwer dans ces plans rapides au ras du sol, le réalisateur a toutefois mis en évidence à plusieurs reprises l'organe olfactif dans des gros plans qui viennent ralentir un peu l'époustouflante vitalité de certains passages pour donner une impression de plausibilité plus forte. La prise de vue à trois cent soixante degrés lorsque Baldini goûte le parfum créé par son apprenti joue aussi un rôle essentiel de coupure dans l'action trop rapide... puis ce jardin italien – sans doute la scène du film où les tons sont les plus enivrants – ramène un soupçon de paradis dans un climat oppressant et encombré. La fin du film a été tournée avec brio. Suskind a certainement écrit la scène de débauche pour montrer le mépris que porte Grenouille sur le genre humain en le rendant ridicule (en dehors du fait qu'il voulait d'abord être aimé... mais cela ne lui plait plus par la suite, justement). Tykwer, sans les mots, a été forcé d'employer les moyens dont il disposait pour rendre les odeurs et le défi est remporté haut la main, pas besoin d'effluves pestilentiels propagés par la climatisation pour faire ressentir la puanteur des rues parisiennes : des personnages d'une propreté douteuse pataugeant dans la boue et un tas de poissons grouillant d'asticots se chargent de vous retourner l'estomac. De même, l'ahurissement alangui de Grenouille et la caméra serpentant sensuellement sur le corps de ses victimes nous font parfaitement prendre conscience que leur odeur est exquisément grisante.
En conclusion, l'image, les reconstitutions, l'interprétation et la mise en scène inspirée font de cette adaptation une réussite globale. Le film est d'une grande richesse, et parvient à être à la fois prenant, émouvant, drôle, culotté, jouissif et grandiose (malgré quelques effets numériques décelables et la scène où Grenouille reproduit un parfum à la louche, qui reste peu crédible). Nonobstant la longueur du film, certains aspects de l'œuvre originale passent évidemment aux oubliettes. En définitive, cependant, "The Perfume" se montre à la hauteur de l'exceptionnelle qualité du livre, soit un splendide conte picaresque.
Kathou
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le 28 sept. 2010

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