Dans une maison quatre personnages se croisent. Si quelques uns se retrouvent après un long laps de temps, d'autres – parfois les mêmes – se rencontrent simplement. S'observent et se conçoivent, s'ignorent et s'apprennent, sillonnant les pièces et les chambres à la recherche de cette chose mystérieuse et inquiétante qui est "l'autre". D'abord, il n'y a pas grand chose. C'est très peu plan-plan, on voit des choses qui se nouent nerveusement (lourdement ?), pas avec finesse du tout. On voit des acteurs bouleversés, pour pas grand chose, parce quelque chose va exploser, que ce n'est pas loin, qu'on le sent et qu'on le sait.
La beauté étrange et insolite de ce Passé se situe dans le contre-pied que prend le cinéaste par rapport au déroulé classique du genre qu'on attribue au film, celui du drame psychologique, où chaque mystère, chaque zone d'ombre, se devrait d'être évacuée aux instants où advient la vérité. Frahadi fait tout le contraire : si les mystères des personnages sont entiers au début du film, celui du film n'est pas là, chaque chose étant soupesée d'une clarté paradoxale et gênante qui tire vers superficialité. Puis, soudain, tout devient noir. C'est curieusement le moment où le film décolle : à chaque rebondissement dont Farahadi assume plus ou moins la mécanique sur-écrite (pas de trace d'un naturalisme exacerbée dans Le Passé) que les couches de brumes se font, dans un film qui tire de plus en plus vers l'abstraction, l'entre-deux, l'étrange, le malaise, le silence. Car découvrir une nouvelle révélation, une nouvelle vérité, c'est ouvrir aussi une nouvelle impasse, une nouvelle plaie que nul ne pourra guérir, si ce n'est que l'action du temps, l'oubli qui n'est pas un oubli, le long silence qui tait ce qui brûle tant en nous. Ainsi se dévoile le programme du film, lancé sur les rails, dont le rythme fait de sursauts perd et gagne à la fois dans la frustration qu'il procure : des longues scènes de dialogues successifs se déroulent à la vitesse d'une pluie qui dehors bat, du train qui fuit devant cette maison si étrange, et dans chacune les visages s'ouvrent et se referment avec la beauté d'un ballet qui touche à son crépuscule. Sentir, ressentir, frémir alors du parfum asphyxiant de l'irrémédiable spirale qui emportera tout dans les cris et les larmes vainement tentés d'être étouffés – alors il ne reste plus que cette solution. Ainsi que cette scène, la dernière, la plus lointaine et la plus trouble : Un dos, tourné dans le champs et qui s'arrête pour revenir sur son passé, celui de Tahar Rahim, qui revient et qui repart, passé, présent, futur. Qu'une caresse, la sienne, qu'un silence, le leur, qu'une main serrée ou pas dans une autre, qu'une larme discrète que seuls certains repéreront. Ce n'est pas une oeuvre révolutionnaire, la faute à un début extrêmement poussif, mais c'est un joli film, trop maîtrisé sans doute, qui manque beaucoup de vie mais pas de magie.
B-Lyndon
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le 17 mai 2013

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B-Lyndon

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