Le personnage derrière la Palme

Ce qui m'a probablement le plus marqué dans ce film, c'est le personnage de la mère, de Marie (alias Berenice Bejo). Pourrait-on imaginer un personnage plus tragique ? Deux enfants d'un père parti il y a bien longtemps. Puis il y a eu Ahmad, personnage si poignant, la sagesse, le monseigneur Myriel du film… sorti de sa violente et longue dépression qu'une fois séparé d'elle. Et puis arrive Samir : relation d'abord d'adultère, s'officialisant qu'une fois la femme de Samir dans le coma après une tentative de suicide, semblant ne tenir qu'à leur enfant à naître - mais « ça, c'était un accident », nous rappellera Samir. La relation avec sa fille aînée ? Conflictuelle serait un maigre mot : entre les insultes, les fugues, les coups et le manque de communication, la tension tourmente des deux côtés de l’écran. Mais qui est fautif, quand les deux partis souffrent autant... Enfin c'est tout juste si on remarque le manque de respect que montre Lucie pour sa mère, quand on assiste à l'attitude du fils de son actuel fiancé à ses côtés. Il faut peu de temps à Ahmad, à peine rentré pour la procédure de divorce et se disputant déjà avec Marie, pour prendre presque pitié de sa femme, et tenter de calmer le petit garçon. Quant aux amis de Marie ? Elle n’a visiblement pas le temps d’en avoir.
Mon cœur s'est serré au moment où elle rentre dans son lieu de travail et où elle salue sa collègue : aura-t-elle enfin droit à une légère marque d'affection ? Un sourire, peut-être ? Mais non, c'est tout juste si on entend le "bonjour" de cette femme, si on perçoit un simple regard. Non vraiment, on cherche la source de bonheur dans laquelle pourrait puiser Marie... et si, si on trouve ! On trouve Ahmad. Venu pour officialiser leur rupture. Et on comprendra que cet homme si doux, si bon, si bienveillant, n'en était rien dans les dernières années à ses côtés. Comme si elle était purement toxique pour son entourage. Et c'est si difficile à imaginer ! Penser que cet homme idéal a pu être si difficile à vivre... quand l'environnement ne lui était pas opportun. Ce qui amène à se demander : aurait-il pu en être de même pour elle? Si elle avait aimée, si tout avait été plus facile. Si la chance lui avait souri, aurait-elle pu permettre à sa fille, à son mari d'accéder au bonheur à ses côtés ?

Mais ce n'est pas à ça que se résume le personnage de Marie. Ce qui est tout aussi frappant, c'est sa force. La force d'une mère, sans doute, qui n'a pas ce choix de baisser les bras, de s'effondrer, d'abandonner. Elle doit trouver quelque chose à quoi s'accrocher, pas tant pour elle que pour ses enfants ; et on le voit par ce sourire désenchanté qu’elle essaie d’arborer avec le plus de naturel. A chaque fugue de sa fille, c’est sa responsabilité et son angoisse de mère qui la forcera à combattre sa colère primitive pour la retrouver, la savoir en sécurité, mais aussi l’éduquer. Elle se doit simplement de continuer à être là pour ses enfants. A elle seule, elle doit leur apporter l’éducation de deux parents, sans se laisser regretter la situation. On n’est plus dans l’individu.


Bien sûr, il reste difficile de porter à Marie l'admiration naturelle qu'on éprouve, dès les premières minutes, pour Ahmad. Celui qui, comme le montre la scène de l'évier, vient clairement arranger une situation bouchée. Il semble vraiment plus essentiel à Lucie, qui le voit comme son père, que Marie : il la fait sourire, il la fait se confier... En quelques jours, il fait disparaître des poids qui pesaient sur chacun des personnages depuis parfois plusieurs années. Il sait comment parler aux autres, il ne les juge pas, il sait les guider, les accompagner dans leur choix, toujours avec une bienveillance extrême. Il sait leur communiquer son affection. On peut considérer que les yeux emplis d’amour de Lucie, le respect si vite gagné d’un enfant qui n’est pas le sien, représentent une certaine récompense à sa bonté. Ce qui est dramatique, c’est que la récompense de Marie, dont la vie entière ne vise qu’au bien-être de ses enfants… on ne sait pas si elle viendra un jour. C’est elle qui est restée auprès de ses filles, mais on attend, deux heures durant, une marque d’amour.


Je ne développerai pas d’autres sujets pourtant remarquables, car la critique serait sans fin : le point sur l’éducation avec la fabuleuse scène des cadeaux, la complexité de la quête de la vérité et sa relativité, objet principal du film précédent (Une Séparation). Et mention spéciale pour le travail de développement de chacun des personnages, y compris les enfants : personne n’est laissé au second plan.

Un chef d’œuvre, à voir et à revoir.
Monza
9
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le 26 août 2013

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Monza

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